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Le juge Bélizaire conjugue l’illégalité, la mise en résidence surveillée n’existe pas en droit haïtien

vendredi 12 septembre 2014

« Le juge d’instruction ne peut placer personne en résidence surveillée. D’ailleurs, cette notion n’existe pas dans la législation haïtienne », soutiennent plusieurs avocats haïtiens. Cependant, la loi prévoit qu’un « condamné » au correctionnel peut être placé sous la haute surveillance de la police de l’Etat, ont-ils fait savoir. Le débat est ouvert sur l’ordonnance du juge d’instruction Lamarre Bélizaire exigeant que l’ex-président Jean-Bertrand Aristide soit placé en « résidence surveillée ».

Cette semaine, les avocats haïtiens ont été fouiller au fond de leur malle, dans leur bibliothèque, dans leurs documents les plus anciens pour trouver dans le code pénal haïtien l’application de la « résidence surveillée ». Un devoir de maison que leur a imposé le juge d’instruction Lamarre Bélizaire à la suite de cette ordonnance prise contre l’ex-président Jean-Bertrand Aristide consistant à le placer en résidence surveillée. Une notion juridique du genre « papa introuvable ». Les avocats haïtiens interrogés sur le dossier s’envolent jusqu’en France pour trouver l’application légale de placer quelqu’un en résidence surveillée.

Me Claudy Gassant

Selon l’ancien commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Me Claudy Gassant, dans l’état actuel du droit haïtien, placer quelqu’un en résidence surveillée n’existe pas. Donc, placer quelqu’un en résidence surveillée n’est pas légal, a-t-il soutenu. « Quel que soit l’acte posé par le juge d’instruction, il doit le faire sur une base légale », a-t-il dit au Nouvelliste. Même si la loi lui permet de prendre toutes les mesures pour arriver à la vérité, a souligné Me Gassant, ces mesures qui sont des actes d’instruction doivent avoir une base légale.

En France, placer quelqu’un en résidence surveillée, c’est une mesure alternative, a-t-il dit. Au lieu de le mettre en prison, on la place en résidence surveillée. En France. « Mais en Haïti on n’a que la prison ou laisser la personne en liberté… », a-t-il ajouté.

En outre, Me Gassant a souligné que le juge d’instruction Lamarre Bélizaire n’est pas dans sa juridiction et ne peut en aucun cas placer quelqu’un en résidence surveillée qui se trouve dans une autre juridiction. Il a souligné que de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, comme cela pourrait être n’importe quel autre citoyen, ne dépend que des juges de sa juridiction.

Selon l’ancien commissaire du gouvernement, le juge d’instruction Lamarre Bélizaire a bloqué la procédure tout seul. « Il ne pourra pas entendre Jean-Bertrand Aristide parce qu’il l’a assigné à résidence. Pour l’entendre, il faut inviter Jean-Bertrand Aristide, le juge l’a déjà fait et Aristide a refusé. Il a émis un mandat d’amener qui n’a pas été exécuté. Aujourd’hui, qu’est-ce qui lui reste comme alternative ? C’est aller l’entendre chez lui. Il ne pourra pas le faire parce qu’il ne peut pas laisser sa juridiction pour aller dans la juridiction de Croix-des-Bouquets », a argumenté Me Gassant.

Par ailleurs, il a indiqué que les agents de l’APENA ne doivent pas être aux abords de la résidence de Jean-Bertrand Aristide. « Ils ne peuvent opérer que lorsqu’ils ont un mandat de dépôt et la personne à leur disposition… », a-t-il dit.

Me Samuel Madistin

Placer quelqu’un en résidence surveillée, « c’est un régime que la législation haïtienne n’a pas encore établi. Il n’existe pas », a soutenu aussi Me Samuel Madistin interrogé par le journal Le Nouvelliste.

« La mission du juge d’instruction est tracée par le code d’instruction criminelle, a-t-il dit. Cependant, en matière de police correctionnelle, la loi prévoit qu’un ‘’condamné’’ au correctionnel peut être placé sous la haute surveillance de la police de l’Etat ». Même dans ce cas de figure, a-t-il précisé, la loi haïtienne ne parle pas de résidence surveillée. « On pourrait le considérer comme une forme d’équivalent mais c’est en matière de condamnation au correctionnel », a-t-il dit, soulignant qu’il est question de condamnation.

« Non seulement la résidence surveillée n’est pas applicable à l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, si quelqu’un le fait, il peut finir en prison », a menacé Me Samuel Madistin. « La Constitution est claire, en matière de liberté individuelle, et l’auteur et celui qui exécute un ordre manifestement illégal peuvent être poursuivis pour acte arbitraire. Un policier qui exécute cet ordre peut être arrêté et le juge peut aussi aller en prison pour cet acte ; le commissaire du gouvernement qui exécute cet ordre peut faire l’objet de poursuite… »

Me Carlos Hercule

De l’avis du bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, la décision d’un juge de placer un justiciable en résidence surveillée est illégale. « Dans l’état actuel de notre procédure pénale consacrée dans le code d’instruction criminelle, il n’existe aucune disposition du genre. Dans les articles traitant des juges d’instruction, on ne trouve aucun texte reconnaissant à un magistrat instructeur l’attribution de prendre une telle décision », a expliqué l’homme de loi sur Radio Magik 9.

« Même dans les lois punissant les crimes à caractère transnational ratifiées par Haïti, je n’ai relevé aucune disposition autorisant le juge d’instruction à prendre une telle mesure restrictive du nom d’assignation à résidence surveillée », a poursuivi Me Carlos Hercule en faisant référence notamment à la loi traitant du blanchiment des avoirs et de financement du terrorisme.

Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les cadres prévus par la loi et selon les formes qu’elle prescrit, a insisté le président de la Fédération des barreaux d’Haïti citant l’article 24.1 de la Constitution de 1987 amendée. Dénonçant le caractère jugé illégal de la décision du juge Lamarre Bélizaire sans vouloir faire de personnalité, Me Carlos Hercule a expliqué qu’il doit y avoir un cadre réglementaire qui définit les attributions et les conditions dans lesquelles, quelle que soit l’autorité - judiciaire , policière ou administrative- doit être exercée. « C’est ce qu’on appelle le principe de légalité en procédure pénale », a-t-il dit.

Pour le bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, c’est un principe fondamental, « un magistrat instructeur doit questionner la loi pour être sûr qu’il est autorisé à prendre telle ou telle décision ». « Quand un magistrat pose un acte en dehors de la loi, il faut un organe supérieur pour veiller à la légalité et à la constitutionnalité de ses actes. La cour d’appel, dans ce cas précis, a la responsabilité de veiller à ce que la poursuite soit bien enclenchée au regard de la Constitution et sanctionner la décision », croit Carlos Hercule.

Il a quand même admis l’existence dans le code pénal haïtien de ce qu’il appelle « renvoi sous la haute surveillance de la police d’Etat ». La différence d’avec la notion d’assignation en résidence surveillée c’est qu’il s’agit d’une peine qui doit être prononcée par le tribunal criminel ou le tribunal correctionnel, a-t-il fait remarquer.

Me Patrick Laurent

« Existe-t-il le mot assignation à résidence surveillée dans le code d’instruction criminelle ou le code pénal haïtien ? a problématisé, de son côté, Me Patrick Laurent avant de répondre par la négative. Dans le droit français, a-t-il dit sur Radio Magik 9, le juge peut décider de placer quelqu’un dans une zone ou un lieu ou encore chez lui et l’empêcher d’en sortir sans son contrôle.

Si la notion d’assignation à résidence surveillée n’existe pas dans le droit haïtien pour Me Patrick Laurent, on y trouve par contre des dispositions qui permettent d’obtenir les mêmes effets, a-t-il laissé comprendre. Il s’agit de la notion de « renvoi à temps sous la surveillance spéciale de la haute police de l’Etat », a avancé l’homme de loi citant l’article 31 du code pénal haïtien. Mais, a-t-il précisé, le renvoi à temps sous la surveillance spéciale de la haute police de l’Etat n’est pas une mesure conservatoire. L’article 131 du code pénal, a-t-il ajouté, parle du renvoi comme une peine.

Littéralement, si on considère la notion d’assignation à résidence surveillée qui n’existe pas dans le droit haïtien, la décision du juge Lamarre Bélizaire est entachée d’illégalité, a indiqué Patrick Laurent, qui n’entend nullement influencer la décision du juge d’instruction. Mais même si on la taxe d’illégale, la mesure sera toujours applicable aussi longtemps qu’aucun recours ne sera exercé contre elle, a aussi fait savoir l’homme de loi.

Le Nouvelliste a contacté sur le dossier deux membres du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) qui n’ont pas voulu réagir sur la décision d’un juge, question de ne pas influencer l’affaire en cours. Cependant, l’un d’entre eux a quand même soutenu que l’assignation à résidence surveillée n’existe pas dans le droit haïtien.


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