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Portrait de Femme

Marie Michèle Rey : « J’ai appris qu’il ne faut jamais baisser les bras ! » -

lundi 23 novembre 2015

Portrait de Femme Rigueur, détermination et discipline distinguent cette femme qui, après une brillante carrière dans le milieu bancaire, se hissa au timon des affaires de l’État. Ancienne ministre de l’Économie et des Finances, ex-ministre des Affaires étrangères et des Cultes, Marie Michèle Rey est restée stoïque au travers des difficultés qui ont émaillé sa vie. Un grand exemple de courage, de dépassement de soi et de résilience.

« Ah, Marie Michèle Rey, je la connais, celle-là. C’est véritablement une dame de fer quand il s’agit de décaisser un centime », s’écrie un ancien employé du ministère des Finances. Vraiment, on ne trouvera pas beaucoup de personnes à dire le contraire. Mamie Rey - c’est ainsi qu’on la surnomme – assume ! « Je préfère avoir l’air de Margaret Thatcher quand je gère les finances d’un pays. Je peux me permettre de faire des largesses avec mes fonds propres, mais pas avec l’argent de l’État. Je ne plaisante pas. C’est mon engagement, pas le leur », s’exclame celle qui fut élevée avec une grande discipline. Consciente que le pouvoir est fragile et que les mauvais coups viennent souvent de l’intérieur, elle a toujours tenu à faire preuve de prudence et de rigueur, sachant que, pour chaque centime dépensé, elle aurait à rendre des comptes. « Il faut être très ferme avec soi-même, être rigide. Parce que sinon on peut tomber dans n’importe quel piège », explique Mme Rey.

« J’ai réussi ma vie professionnelle sans compromission ! »

Fille d’un militaire, Marie Michèle Rey, qui suit son père au gré de ses affectations, effectue toutes ses études dans des écoles congréganistes. Que ce soit chez les sœurs bleues au Cap-Haïtien, les sœurs du Sacré-Cœur à Port-au-Prince, ou les sœurs de la Sagesse à Port-de-Paix. En philo, fort heureusement, elle obtint de son père la permission d’entrer au Centre d’Études secondaires. « C’était une année superbe », confie-t-elle, trop contente de sortir un peu de ce cercle purement religieux.
Les études classiques achevées, elle part pour la Jamaïque avec son père devenu consul sous la junte militaire. Là-bas, elle fréquente Immaculate Conception High School -encore chez les religieuses-, où elle put se former en business administration et comptabilité.

À son retour en Haïti, Marie Michèle occupe un poste de secrétaire de direction d’un représentant d’un projet haïtiano-américain. Mariée, elle met un peu sa carrière en veilleuse pour participer à l’éducation de ses deux enfants. Un peu plus tard, elle dispensera des cours d’anglais pour jeunes, tâche qui ne fut point nouvelle pour elle, car dès la classe de seconde, elle avait l’habitude de donner des cours de latin.

Même si elle admet ne pas être une personne de terrain, Mamie Rey est une grande bosseuse qui n’a pas peur de prendre ses responsabilités. « J’ai beaucoup bossé pour pouvoir évoluer. » Pendant un certain temps, elle a cumulé les postes. « Le matin, je travaillais à l’ambassade d’Éthiopie, le midi à l’ambassade de Chine et, à partir de cinq heures, je m’occupais de mes cours d’anglais. »

Après avoir travaillé pour l’ambassade américaine, elle deviendra la première employée haïtienne de la Citibank. Elle fut promue en novembre 1974 officier promanager. Neuf ans plus tard, elle entre au service de la Banque nationale de Paris où on lui offre de diriger une succursale de la banque au Cap-Haïtien. Elle est ensuite rappelée à la maison mère à Port-au-Prince. Elle y travaillera jusqu’à ce qu’on fasse appel à elle pour servir son pays en tant que ministre.

Puis elle entre en politique…

« Je n’ai pas cherché à faire de la politique. Sincèrement. D’ailleurs, chez moi, c’était un sujet tabou », assure Mamie Rey. « Ma mère n’a pas connu son père puisque ce dernier et deux de ses frères ont été assassinés sous Vilbrun Guillaume Sam. Découpés en morceaux, leurs corps ayant été ramassés dans un drap. C’est une histoire qui nous a toujours marquée », explique-t-elle, ajoutant au passage que son père, quoique militaire, a même été emprisonné au Fort-Dimanche sous les Duvalier.

Mais un beau matin de l’an 1991, celle qui, en 1982, avait, de concert avec Josseline Colimon Féthière et Evelyne François, mis sur pied le Fonds haïtien d’aide à la femme (FHAF), première institution de microfinance pour les femmes, a été appelée à être ministre de l’Économie et des Finances. « Je n’ai fait aucune démarche en ce sens auprès du président ni du Premier ministre. Je ne les ai rencontrés que le jour où je devais discuter avec eux pour le poste. Mais ils avaient déjà entendu parler de mes compétences. »

Lorsqu’elle partit voir son père souffrant d’une tumeur au cerveau à New York, juste avant le coup d’État, il lui adressa ses mots : « Tu vas retourner en Haïti et il va y avoir un coup d’État. Mais tu as pris un engagement et tu vas le respecter. Moi je prierai pour toi là où je suis et j’ai déjà commencé à prier. Vis selon tes principes et non selon ceux des autres. » Son père décède peu de temps après « mais ces phrases sont restées gravées dans sa mémoire ».

Ainsi, quand vint le coup d’État, elle se résolut à faire face aux dangers qui ne tardèrent pas à l’assaillir. « J’ai frôlé la mort à plusieurs reprises, j’ai perdu des collègues, dont Guy Malary. J’ai passé les trois ans dans le maquis. Ma maison a été mitraillée jusque dans ma chambre. J’ai été poursuivie, pressurée de quitter le pays, ce que j’ai refusé. Parce que je savais que si je laissais le pays, j’aurais du mal à y retourner. » Certains croient que cette femme a même un amour charnel pour son pays. Ce qui expliquerait bien pourquoi elle a toujours refusé la perche de l’exil qu’on lui tendait de temps à autre. Elle sera donc ministre à trois reprises du 19 février 1991 au 30 sept 1991, puis du 1er septembre 1993 au 7 novembre 1993, et enfin du 8 novembre 1994 au 7 novembre 1995.

Puis en 1995, elle choisit de démissionner. « Cela avait été pénible de passer trois ans à vivre avec une sacoche. À passer de porte en porte. Mes enfants vivant avec la hantise que quelque chose pouvait leur arriver à tout moment, car à plusieurs reprises, ils avaient été menacés », lâcha-t-elle.

Par la suite, elle fera partie du conseil d’administration de la Téléco, puis du SEMANAH, avant de devenir, en février 1996, membre du cabinet particulier du président de la République René Garcia Préval, en charge de certains dossiers économiques. Ancienne représentante d’Haïti auprès du marché commun caribéen (Caricom), c’est avec une fierté non feinte qu’elle parle de sa participation au processus enclenché pour permettre l’intégration d’Haïti à cet organisme régional. « Au moins là, j’avais l’impression de construire quelque chose. Au moins, Haïti est rentrée dans la Caricom. J’y tenais », avoue celle dont l’aïeule côté paternel est originaire de la Jamaïque. Ce fut donc évident qu’elle soit nommée par arrêté, en date du 27 novembre 2006, pour diriger le bureau de coordination et de suivi des accords de la Caricom, de l’OMC et de la ZLEA.

Ce ne sera pourtant pas son dernier poste au sein de l’appareil étatique. Un jour, alors qu’elle appelle sa collègue et amie de longue date, Josseline Colimon Féthière, pour la féliciter d’avoir été choisie comme ministre du Commerce et de l’Industrie, le président Préval l’appelle pour lui annoncer qu’elle va aux Affaires étrangères. Elle est un peu réticente, car elle a toujours été dans les chiffres. Mais, après réflexions et concertation avec les membres de sa famille, cette grande négociatrice accepte de devenir ministre des Affaires étrangères et des Cultes du 8 novembre 2009 au 18 novembre 2011. « J’ai réussi ma vie professionnelle sans compromis ni compromission. Ce n’est pas facile pour une femme seule d’avoir le parcours que j’ai eu. Sans tache. Parce que vraiment, je ne crois pas avoir commis d’erreurs, du moins pas de grandes », conclut cette professionnelle qui a bossé pour mériter ce qu’elle a eu dans la vie. Une joueuse de poker qui sait bien parer les coups. Une professionnelle respectée qui sait s’entourer d’une bonne équipe pour l’aider à grandir. Une femme intransigeante aussi bien avec elle-même qu’avec les autres. Bref, cette femme qui fonda avec Clorindre Zéphyr Enfofanm, un centre de documentation et de recherche sur les mouvements d’émancipation de la femme, tient la médiocrité en aversion et jamais n’acceptera de baisser les bras, « parce que sinon tout est perdu ».

Une femme résiliente

À l’observer de loin, son air sévère peut rebuter et vous empêcher d’oser l’aborder. Pourtant, rien de tout cela ne tient debout quand on l’approche de plus près, ou entame avec elle une conversation. Ça l’est encore moins quand elle laisse un sourire détendre ses traits sévères. On peut même s’étonner de sa gentillesse.

Celle qui a fondé en 1984, l’Association pour la promotion de la famille haïtienne (PROFAMIL), a été durement secouée par divers événements tragiques au cours de sa vie. Elle a trébuché, elle a vacillé, mais son courage et sa force de caractère ont toujours pris le dessus. De son avis, « Il y a des bons moments et des moins bons, où il faut se serrer les dents et continuer à avancer. Il ne faut jamais baisser les bras, mais toujours se dire je vaincrai et j’irai plus loin. »

Elle a vécu les moments terriblement angoissants et terrifiants de l’époque du coup d’État. « J’ai vécu beaucoup de drames », confie-t-elle, elle a encaissé le décès de son père, de son frère, et de plusieurs êtres qui lui sont très chers. « On a tué le père de mes enfants à la Grand-Rue en 1999. » Mais l’assassinat de son fils en 2001 est le coup de grâce. Un deuil qu’elle porte encore. Une douleur qui n’est pas encore partie. Sous ces dehors de colosse et de citadelle invincible, cette femme porte un grand cœur. Elle pleure assez souvent même, celle qui confesse avoir une grande foi en Dieu. Aujourd’hui elle a un peu pris sa retraite au milieu des siens, une famille très soudée. Elle n’aime pas sortir. Sinon pour passer un moment avec des amies. Entre les textes qu’elle écrit en mémoire de ce fils chéri ravi à son affection, elle aime écouter de la musique, et savourer la présence de son compagnon de vie, des trois générations qu’elle a eu la chance de voir. Une fille, six petits-enfants et six arrière-petits-enfants qui ne demandent qu’à combler cette sexagénaire.

Cet article fait partie d’une série de portraits de femmes. L’initiative "Portrait de femme" est supportée par ONU/Femmes.
Winnie H. Gabriel winniegabriel@ticketmag.com


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