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Aubelin Jolicoeur, l’anniversaire d’un immortel

samedi 2 mai 2015

Musseau. Les dernières lueurs du soleil caressent les flancs de montagne éventrés par quelques villas et des bicoques qui défient les lois de la physique. Le vent balaie un reste de chaleur sur la terrasse de la salle Franck, à l’hôtel Montana où l’on fête les 91 ans de Aubelin Jolicoeur, un immortel en voyage chez Saint Pierre depuis une décennie. Pour « Pretty heart », « Mister Haiti », homme à mille casquettes, l’un des journalistes entrés au panthéon des « grands nègres » du monde, un billet de retour a été acheté par ses enfants, ce 30 avril, un jour avant les 117 ans de Le Nouvelliste, le journal où il a fait ses débuts en 1946 et passé plus de 50 ans à rapporter la vie, les mondanités et autres choses. Du sérieux, du lourd, partageant quand c’était nécessaire ses angoisses par rapport à une bien chaotique transition vers la démocratie après le 7 février 1986, distillant avec érudition et culture ses critiques.

Ses mots, pailletes, arcs-en-ciel, racontaient le plus souvent des galas, des vernissages, des excursions des stars de Hollywood, des mariages et aussi des enterrements des gens d’ici. « De ses gens », contents de se retrouver, pour lui faire un coucou. Ils sont venus. Ils étaient tous là. Presque tous à écouter « Ti Koka » et son invitation aux cavaliers à prendre leurs dames, à danser. « Ils sont de toutes les générations », observe Me Gérard Gourgue, prêt à jurer que l’ombre d’Aubelin Jolicoeur danse ce moment, son moment avec le sien fait d’os, de sang et d’âme. « C’est un souvenir qui est là », souligne Gourgue, évoquant avec sa verve légendaire l’ascension fulgurante de ce provincial, né à Marbial en 1924.

Dans cet écrin où s’effectue ce devoir de mémoire, cet hommage des enfants à leur père, la scénographie campe le grand homme, haut comme trois pommes, regard perçant, badine légendaire et un foulard en lieu et place d’une cravate. La Une de Le Nouvelliste sur son mariage avec Claire Sirois, Aubelin dans sa trentaine, Le Bravo et le bout de portrait de Carl Labossière, contemporain d’Aubelin : « Aubelin va son chemin de sa plume qui danse comme ses pas qui sautillent. Il va léger et badin, profond et percutant, imprimant à son écriture le ton qui lui semble convenir aux situations ». La machine à écrire, entre des ouvrages et des enfants de sa fille Yvanka Jolicoeur Brutus, radieuse, souligne aussi l’intimité du geste envers cet homme qui « entretenait », pour citer Michel Philippe Lerebours, mapou national, grand critique d’art, « une sympathique intimité avec ses tableaux ».

Comme pour d’autres, Lerebours a cru voir Aubelin, en voyant l’un de ses fils, Serge Manert Jolicoeur, ému, honoré d’avoir eu un papa pas toujours là pour ses enfants mais là pour le pays, Haïti dont le progrès serait profitable pour ses progénitures. « Pour mon père, tous les Haïtiens étaient ses enfants », confie Serge Manert, debout, presque en face de la romancière Yanick Lahens et de la femme politique, ex-ministre de la Culture, Marie Laurence Jocelyn Lassègue qui reconnaissent en Aubelin « un personnage qui a marqué son temps ». Plus loin, à deux chaises de là, l’ex-président Prosper Avril et sa femme, sont venus pour ce drôle d’anniversaire

« Aubelin de Jolicoeur », le titre du documentaire d’Arnold Antonin qui remet le noble, le dandy haïtien à la postérité est dans l’air. « Aubelin était un noble perdu dans un pays pas noble », témoigne le réalisateur. Le personnage complexe, intéressant et courageux avait une « vision gentille des choses et des gens », confie Antonin, sensible à la position exprimée par Aubelin Jolicoeur au lendemain du 28 novembre 1980, quand le régime de Jean-Claude Duvalier a effectué la rafle de journalistes, d’hommes politiques…pour ensuite les envoyer en exil…

Plus officiel, dans la salle Franck, mi-Olympe, mi-château de glace d’Iceland, Yvanka et Rony orchestrent le ballet des intervenants, les mille portraits de Aubelin. L’historien Georges Michel trace, remonte, avec deux pages en moins, le parcours du géant. Symbole du tourisme, « boulevardier », Aubelin, aux yeux de Max Chauvet, directeur général de Le Nouvelliste, est « une personnalité généreuse et laborieuse », « courtoise et conciliante ».

« D’une extraordinaire sensibilité, magnanime et attentionné envers tous, je disais, il y a dix ans, qu’il avait attaché en même temps dans la profondeur de son joli cœur son amour pour son pays comme une fleur en boutonnière sur son cœur. C’était une autre dimension de ce personnage à la fois original et attachant », explique Max Chauvet, avant de souligner que Aubelin était « allergique à l’argent, à la richesse, au culte des biens matériels. »

« Il n’y a pas de dernières années d’Aubelin au Nouvelliste. Il y a des articles qui n’ont pas été écrits depuis son départ », soutient Frantz Duval, rédacteur en chef du journal Le Nouvelliste.

Parce qu’Aubelin n’aurait pas pu être comptable à cause de son grand cœur, un autre pan de sa vie de journaliste, d’homme de plume, vécu au Petit Samedi Soir entre 1980 et 1990, raconté par Dieudonné Fardin, met en évidence l’homme dont les actions ont touché, changé des vies. Il partageait « Si » de Kipling et « J’ai un rêve » de Martin Luther King Junior. L’anecdote de ce jeune provincial qui avait conservé la copie de « Si » exprimant sa reconnaissance, sur les parvis de l’église St-Pierre, aux funérailles de AB est poignante.

Entre les performances de Bakalou, le duo de Rony Jolicoeur avec Gilbert Fombrun reprenant le refrain « ce n’est pas du sang qui coule dans nos veines mais la rivière de notre enfance » pour souligner que c’est « ne plus voir Aubelin qui danse » qui les rend tristes, Marie Alice Théard, sublime, esquisse un autre portrait de Aubelin, après celui du secrétaire d’Etat, du maître en relations publiques dont le seul souci a été de présenter Haïti sous son meilleur jour. Aubelin, le collectionneur d’art, le mystique…est restitué par Marie Alice Théard, comme ad ombré par une effusion venant d’Urantia.

Sur cet autel d’hommage, Josette Darguste, ex-ministre de la Culture, Rotchild François Junior, Jessy Menos, secrétaire d’Etat au tourisme et aux industries créatives ont déposé, eux aussi, les fleurs de reconnaissance... Et peu après minuit, l’immortel Aubelin est retourné dans son étoile, là- haut, entre Erzulie et Ogou…

AUTEUR

Roberson Alphonse

robersonalphonse@lenouvelliste.com


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