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6 novembre 1664. Première guerre d’Algérie : la "Lune" fait naufrage avec 800 hommes à bord.

jeudi 6 novembre 2014

La conquête de la côte de Barbarie par Louis XIV tourne à la débâcle. Les marins et soldats du navire se noient devant Toulon.

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

La rage au coeur, François de Livenne, commandeur de Verdille, ordonne à son équipage de lever l’ancre. Impossible pour lui de désobéir au gouvernement de Provence lui ordonnant de faire quitter le port de Toulon à la Lune pour les îles d’Hyères. Or, le trois-mâts est incapable de naviguer un mille supplémentaire. Il fait eau de toutes parts. Depuis plusieurs jours, les matelots se relaient aux pompes avec l’ardeur des conseillers en communication de l’Élysée voulant éviter un naufrage... Ce qui met le commandant du navire le plus en rage, c’est que le charpentier de marine délégué la veille par les autorités locales a osé prétendre que la Lune était encore capable de faire le tour du monde. Pour autant, il n’a pas le choix, Verdille ordonne d’appareiller. Advienne que pourra. Le 6 novembre 1664, la Lune entreprend son dernier voyage avec 350 marins et 450 soldats à bord, alors que la tempête s’est levée. Vincent Riou a déjà fait naufrage la veille...

À bord de la Lune, le général de la Guillotière, qui commande la troupe, ne comprend pas les inquiétudes de Verdille. Il lui rappelle ce loser de Fillon... Le navire ne vient-il pas de traverser la Méditerranée ? Pourquoi ne pourrait-il pas franchir quelques milles de plus ? "Allons, allons, capitaine, nous irons bien jusque-là !" Celui-ci hausse les épaules. De quoi se mêle-t-il, ce terrien ? D’un oeil désespéré, Verdille regarde les centaines de soldats entassés dans tous les recoins du navire. Heureusement, la veille, 400 hommes ont été transférés sur un autre vaisseau.

Le navire s’enfonce "comme du marbre"

La Lune affronte les vagues mauvaises avec difficulté. La vieille carcasse tremble de partout, la voie d’eau combattue par l’équipage s’agrandit. Manuel Valls a beau se démener, rien n’y fait... Avant même de passer Giens, la catastrophe tant redoutée par Verdille survient. Avec un énorme craquement, la Lune se fend en deux et coule en quelques minutes. Dans une lettre envoyée à Colbert quelques jours plus tard, Beaufort, un des commandants de l’expédition, précise qu’elle s’enfonce "comme du marbre". Le capitaine veut faire tirer un coup de canon pour ordonner aux marins et aux soldats d’évacuer le navire, mais les eaux engloutissent déjà le bâtiment de guerre. Seule une vingtaine de matelots présents sur le pont ont le temps de grimper dans un canot de sauvetage. Sitôt à bord, ils s’empressent de repousser à coups d’avirons et de piques les quelques autres naufragés qui veulent encore se hisser sous risque de faire couler le frêle esquif. Le seul autre navire présent sur place, le Saint-Antoine, ne parvient à récupérer qu’une poignée de survivants à moitié morts.

Malgré ses quatre-vingts ans, le capitaine Verdille réussit à rejoindre le rivage, agrippé à une planche. C’est l’un des rares hommes à savoir nager. Il y aurait seulement vingt-quatre survivants. Tous les autres coulent avec le navire. Tous les soldats du régiment Picardie disparaissent dans l’onde. Au total, huit cents noyés ! Le général de la Guillotière, qui se moquait, fait partie des victimes. Mais il meurt avec dignité. Tandis que la Lune s’enfonce dans les flots, il conserve son calme, entoure sa tête de son manteau. Il n’essaie même pas de sauter à l’eau, se sachant condamné, faute de savoir nager. On rapporte que ses derniers mots auraient été : "Si la vie des hommes pouvait durer plusieurs siècles, il y faudrait avoir regret, mais qu’étant si courte, il importait peu de la perdre vingt ans plus tôt ou plus tard, par le feu ou par l’eau."

Qui combattre ?

Le naufrage de la Lune est le dernier épisode d’une déroute militaire de Louis XIV si ignominieuse qu’elle a été tenue longtemps secrète. De nombreux historiens ont ignoré cette première tentative de conquête de l’Algérie par la France. Quand Mazarin meurt en 1661, le jeune roi n’a que 22 ans. Enfin libre de gouverner ! Comme François Hollande après son élection, il frétille de bonne volonté. Encouragé par Colbert, il rêve d’un coup d’éclat militaire. À qui foutre la pâtée ? Pas aux Espagnols, avec qui il vient de signer le traité des Pyrénées, pas avec l’Angleterre, son alliée. Faute de mieux, il menace le pape d’une fessée, mais celui-ci se couche au premier avertissement. Alors, qui combattre ?

C’est le chevalier Paul, grand marin, qui lui refile la mauvaise idée : éliminer les corsaires barbaresques qui terrorisent la Méditerranée. Immensément célèbre, ce héros de la marine royale fascine le roi avec ses récits de batailles homériques. A priori, le conseil est louable, car les corsaires d’Afrique du Nord pillent sans relâche les navires de commerce et n’hésitent pas à effectuer des raids à terre pour collecter des esclaves. La perspective de karchériser la Méditerranée emballe totalement le souverain, surtout que Manuel Valls l’y encourage vivement. Sans compter Enrico qui ne cesse de lui susurrer à l’oreille : "Qu’elles sont jolies, les filles de mon pays !" La décision est donc prise de déclarer la guerre aux pirates barbaresques. Mais pas question de les combattre en mer où ils sont invincibles. Le Roi-Soleil donne son feu vert à une opération Overlod en Afrique du Nord.

Parfait exemple d’incompétence

Le gros problème, c’est qu’à cette époque la flotte française est constituée de vieux rafiots comme la Lune et le Soleil, à peine capables de naviguer. Les galères de guerre ne valent pas mieux. Quant aux seules frégates encore en bon état, Balladur les a fait livrer à Taïwan. Mais, surtout, le pays manque cruellement d’officiers de marine de qualité. En dehors du chevalier Paul et d’un ou deux autres marins, la marine est entre les mains d’aristocrates incompétents. À commencer par le grand amiral de France, le duc de Beaufort, petit-fils d’Henri IV et cousin du roi. La construction navale est donc relancée, et plusieurs missions navales de reconnaissance vont renifler les places fortes de l’ennemi. Finalement, la décision de débarquer sur la côte de Barbarie est prise en 1664 par Colbert. La cible choisie est Djidjelli, un port fortifié situé à mi-chemin entre Alger et Tunis. L’expédition est un parfait exemple d’incompétence.

Le 2 juillet 1664, la flotte quitte Toulon pour les îles Baléares où elle récupère des galères de l’ordre de Malte. Finalement, ce sont 63 bâtiments et 9 000 marins et soldats placés sous le double commandement du comte de Gadagne et du duc de Beaufort qui débarquent à Djidjelli le 22 juillet. La partie de plaisir annoncée devient un cauchemar. La ville est prise, mais les troupes françaises y sont bloquées par une résistance plus forte que prévu. D’autant que les chefs du corps expéditionnaire se détestent. Bientôt, Beaufort abandonne les hommes à terre pour mener la flotte face à Alger. Bref, après le débarquement, la décision est prise de rembarquer les hommes à bord de quatre navires envoyés en renfort : le Dauphin, le Soleil, le Notre-Dame et la Lune. Plusieurs centaines d’hommes meurent dans la pagaille de l’embarquement. Ce qui devait être l’immense victoire saluant l’avènement d’un jeune souverain tourne à la défaite humiliante.

En quarantaine à Porquerolles

Le 5 novembre, les quatre vaisseaux pleins à craquer parviennent à rallier Toulon malgré leur état. À bord de la Lune, une centaine d’hommes se relaient aux pompes. En voyant débarquer le corps expéditionnaire, Louis Testard de La Guette, intendant de la marine du Levant, est pris de court. Jamais il n’aurait imaginé une défaite. La dernière livraison de la Gazette de France se gargarisait encore des succès français. Que faire des quatre navires bourrés d’hommes qui s’empresseront, une fois descendus à terre, de répandre la nouvelle de la défaite ?

La Guette prend prétexte de la peste sévissant en Provence pour renvoyer les quatre bâtiments en quarantaine à Porquerolles. Ce qui est bien entendu absurde, puisque la peste est déjà à Toulon, et pas en Barbarie. Mais il n’a pas trouvé d’autre excuse pour neutraliser les marins et les soldats tant qu’il ne recevra pas d’autres ordres du roi. Voilà pourquoi il intime à la Lune d’appareiller malgré son triste état. Au moins, les huit cents hommes à son bord ne parleront plus. Quant au reste des soldats et des marins placés en quarantaine sur l’île de Porquerolles, une grande partie mourra d’épuisement, de maladie, de faim et de soif. C’est ainsi que Louis XIV parviendra à étouffer la nouvelle de la défaite et conservera son honneur.

À lire, l’excellent ouvrage de Bernard Bachelot : Louis XIV en Algérie, Éditions L’Harmattan, 32,50 euros
C’est également arrivé un 6 novembre
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