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5 juin 1846. Victor Hugo demande la grâce du garde-forestier qui a tiré sur Louis-Philippe

vendredi 5 juin 2015

Il n’est pas entendu par les autres pairs de France qui envoient Pierre Lecomte sous la guillotine.

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le drame débute le 16 avril 1846, quand le garde forestier en chef du domaine de Fontainebleau, Pierre Lecomte, tire deux cartouches en direction du roi Louis-Philippe. C’est qu’il est en pétard, le bougre : le roi n’a pas répondu à son courrier dans lequel il se plaint de ne pas avoir droit à une retraite. Et comment va-t-il nourrir ses enfants ? Avec ses maigres économies, il n’a pas les moyens comme Arthur de filer en Belgique. Heureusement, les balles qu’il tire au jugé se perdent sans toucher le roi, ni personne d’autre. C’est qu’il n’est pas passé par la Syrie pour se former au maniement des armes...Le forestier est poursuivi, arrêté et enfermé. En tant que régicide, c’est à la Cour des pairs de le juger.

La procédure veut que chaque membre de cette noble assemblée prenne la parole pour donner son avis sur le crime. Le 5 juin 1846, c’est au tour de Victor Hugo de s’exprimer. Cela fait un an qu’il est pair de France. Le poète a une sainte horreur de la peine de mort depuis qu’enfant il a assisté de près à une exécution en Espagne, où son général de père était en poste sous Napoléon. Il s’adresse à ses pairs avec fougue. Il s’emballe. Il fait de grands gestes. Il est émouvant. Il choisit de plaider la folie pour Lecomte.

"Le crime le plus grand, le motif le plus futile"

"Rien n’a arrêté ce misérable. Maintenant, examinons le motif. Le voici : une retenue de vingt francs sur une gratification annuelle, une démission acceptée, trois lettres restées sans réponse. Comment ne pas être frappé d’un tel rapprochement et d’un tel abîme ! Je le répète en terminant, en présence de ces deux extrêmes, le crime le plus grand, le motif le plus futile, il est évident pour moi que la raison manque, que la pensée qui a fait un tel rapprochement et franchi un tel abîme n’est pas une pensée lucide et que ce coupable, cet assassin, cet homme sauvage et solitaire, cet être effaré et féroce, est un fou. Ce n’est pas un fou pour un médecin, peut-être ; c’est un fou à coup sûr pour un moraliste. J’ajoute que la politique est ici d’accord avec la justice et qu’il est toujours bon de retirer la raison humaine d’un crime qui révolte la nature et qui ébranle la société. Je persiste dans mon vote : la détention perpétuelle."

Sa grandiloquence n’a convaincu que deux de ses pairs. Les autres votent la peine de mort. Après l’exécution, ces derniers, pas fiers, prétendront avoir opté pour la peine de mort, comptant sur le roi pour gracierLecomte, comme il l’avait déjà fait pour de précédents auteurs de tentatives d’assassinat. Mais, cette fois, le calcul est mauvais, car Louis-Philippe qui en a marre de servir de cible, veut faire un exemple. Pierre Lecomte est donc guillotiné le 8 juin par le bourreau Henri-Clément Sanson. L’histoire ne s’arrête pas là. Quelques heures après avoir exercé son triste office, Sanson est conduit en prison. Non pas qu’il ait saboté son boulot, mais parce que le bonhomme est une sacrée canaille dans le civil.

Guillotine en gage

Quand il ne coupe pas des têtes, Sanson tue le temps dans des tripots et dans des alcôves avec des gigolos qu’il couvre de cadeaux. Tandis qu’il se couvre de dettes qu’il ne peut pas honorer. Or, à cette époque, les débiteurs insolvables sont emprisonnés. Pas dans un cul-de-basse-fosse, mais à la prison de Clichy, un établissement de luxe : pas de cellules, mais des chambres agréables, des promenades, des visites nombreuses, de la bonne bouffe. Déjà, bien avant l’exécution de Lecomte, les recors (c’est le nom des agents chargés d’arrêter les endettés récalcitrants) recherchent Sanson pour le jeter à la prison de Clichy, mais le règlement ne permet l’arrestation des débiteurs que dans Paris intra-muros, et uniquement durant la journée, de 6 heures du matin à 6 heures du soir. Le bourreau, qui connaît la réglementation, fait donc attention de quitter chaque matin, à l’aube, ses bordels et tripots pour rejoindre les faubourgs, hors de portée des recors.

Le 8 juin, pour exécuter Lecomte, Sanson doit forcément se rendre à Paris en plein jour. Les recors n’interviennent pas pour le laisser prendre réception de son client, le couper en deux morceaux inégaux, puis convoyer ceux-ci jusqu’au cimetière de Clamart. Ils l’arrêtent quand il revient à son domicile parisien pour entreposer la guillotine, avant de le conduire à Clichy. Après quelques jours passés à l’ombre, Sanson a une idée formidable pour se tirer d’affaire : il propose à son principal créancier de prendre en gage la guillotine, qui lui appartient en propre, jusqu’au remboursement de sa dette de 3 800 francs. Opération conclue, Sanson peut sortir de prison. Mais il ne rembourse toujours pas. Aussi, le 17 mars 1847, quand le ministère convoque le bonhomme pour une nouvelle exécution, le voilà affolé car il n’a toujours pas récupéré son tranchoir. Il court chez son créancier, qui refuse de rendre la guillotine tant qu’il ne sera pas payé. Sanson n’a pas d’autre issue que d’avouer la vérité au ministère de la Justice. Voilà, le ministre est obligé de rembourser le créancier pour que le condamné à mort soit exécuté le 18 mars. Le lendemain, Henri-Clément Sanson est licencié. Sans espoir de trouver un job comparable dans le privé. Et sans retraite.


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