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3 avril 1768. Torturée par le marquis de Sade, Rose Keller parvient à s’enfuir et à le faire arrêter

vendredi 3 avril 2015

Attirée sous un faux prétexte, la jeune femme n’apprécie pas les "divines gâteries" du petit marquis. Elle le fait arrêter pour viol.


Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le divin marquis a choisi de passer à l’action ce dimanche de Pâques, le 3 avril 1768. Depuis quelques jours, sa tête est pleine de bruit et de fureur. Les prostituées qu’il va chercher dans les nombreuses maisons de débauche de la capitale ne suffisent plus à l’apaiser. Ni même toutes ces actrices vénales qui se donnent aux grands seigneurs contre de l’argent. Cela fait trop d’années qu’il en use et en abuse. Il a de plus en plus de mal à trouver des volontaires pour ses délires sadiques et pervers. Faire l’amour avec un casque de moto finit par le lasser/

L’inspecteur Marais, qui le surveille depuis plusieurs mois, note dans un rapport : "J’ai recommandé à la Brisault (une célèbre mère maquerelle de l’époque, NDLR), sans m’en expliquer davantage, de ne pas lui donner de filles pour aller avec lui en petites maisons." Le 16 octobre 1767, il prévient son supérieur monsieur de Sartine, lieutenant général de police : "On ne tardera pas à entendre parler encore des horreurs du comte de Sade." Oui, du comte et non du marquis, car depuis la récente mort de son père, il a droit à ce titre, même s’il ne le revendique pas.

Il a du flair, le flic, puisque le premier grand scandale public impliquant Sade est sur le point de se produire. Le 3 avril 1768, le marquis repère une mendiante place des Victoires. Le prédateur sexuel a revêtu une redingote grise, porte un couteau de chasse à la ceinture, tient une canne à la main et protège ses douces mimines dans "un délicieux manchon blanc" en lynx. Il guette sa proie, adossée aux grilles entourant la statue équestre de Louis XIV située au centre de la place. Soudain, la voilà, elle sort de la messe aux Petits-Pères pour rejoindre sa place habituelle, où elle demande l’aumône aux passants. Elle s’appelle Rose Keller, avoue 36 ans et est originaire de Strasbourg. Veuve d’un pâtissier, elle a été congédiée de son atelier de filage un mois plus tôt. Pas d’indemnité chômage, au XVIIIème siècle. Du coup, comme des milliers de femmes abandonnées, elle n’a pas d’autres choix que la mendicité ou le tapin. Pour l’instant, elle se borne encore à faire la manche.

Confusion

Le beau marquis s’approche d’elle, engage la conversation avec difficulté, car elle possède un accent alsacien à couper au couteau. Est-ce l’origine d’une mésentente entre eux ? Sade comprend (ou fait semblant de comprendre) qu’elle se prostitue de temps à autre, tandis que Rose pense qu’il lui offre un emploi de gouvernante dans sa petite maison de campagne d’Arcueil.

En fait de maison de campagne, c’est une maison de compagnes. À l’Aumônerie, louée 800 livres par an, le jeune débauché a l’habitude de faire venir du faubourg Saint-Antoine des prostituées à l’occasion de petites sauteries très spéciales. Il s’amuse à les fouetter contre le gîte, le couvert et un salaire d’environ un louis. Ne sachant apparemment rien de tout cela, Rose monte sans méfiance dans le fiacre qu’il est allé chercher et dont il ferme les rideaux pour qu’elle ne voie pas où il la conduit. Ils atteignent Arcueil vers 12 h 30.

Sade fait arrêter le cocher quelques centaines de mètres avant le terme de la course, probablement pour qu’il n’identifie pas la demeure, achevant le chemin à pied. Il demande à Rose d’attendre devant le portail vert tandis qu’il fait le tour de la propriété pour y pénétrer par une porte latérale. Pourquoi ne pas sonner ? On n’en sait rien. Une fois à l’intérieur, tous deux traversent le jardin, croisant des prostituées que le marquis avait fait chercher le matin même par son cocher. Il fait visiter la maison à Rose, l’entraîne dans la cuisine, l’office, le salon. Puis il la fait monter à l’étage pour lui montrer la chambre attribuée à la gouvernante et lui demande de l’y attendre. Elle entend le verrou se refermer, mais n’y attache pas d’importance. Le marquis rejoint les prostituées au rez-de-chaussée avec lesquelles il commence à s’échauffer les sens. La suite des événements est plus confuse, les versions différant selon les témoignages ultérieurs du marquis et de Rose.

Confession

Selon cette dernière, il serait revenu la chercher revêtu d’un accoutrement bizarre constitué d’un habit de boucher et d’un linge blanc noué autour de la tête. Il s’adresse à elle d’une voix cassante pour lui demander de se dévêtir. Affolée, incapable d’apprécier le piment de la situation, elle refuse net. Sade brandit alors son épée, menace de l’embrocher et de l’enterrer dans le jardin si elle ne s’exécute pas. Comment résister à une telle "déclaration d’amour" ? Elle ôte ses habits, mais tente de conserver sur elle sa chemise. Cette résistance excite le marquis. D’un geste, il arrache le dernier vêtement de sa victime avant de la pousser, nue, dans la pièce voisine occupée par un grand lit recouvert d’un tissu rouge et blanc. Rose se révolte, elle voudrait résister, mais ne le peut.

Que s’est-il alors exactement passé ? Lors du procès, il dira s’être borné à la flageller avec un fouet à noeuds dans une atmosphère théâtrale. Elle, au contraire, prétend avoir subi bien pire. Elle parle de blessures avec un canif, de cire brûlante utilisée comme un onguent, de coups de bâton et même de "vivisection" (?). Ayant épuisé ses pulsions sadiques, Sade propose à sa victime de se confesser à lui. N’est-ce pas une charmante attention ? Rose, ne le comprenant pas, préfère refuser. Le marquis n’insiste pas et sort de la chambre pour retrouver les prostituées à l’étage inférieur, bien plus coopératives.

Réalité "moins excitante"

Durant l’absence de son bourreau, Rose parvient à se débarrasser de ses liens, empoigne le dessus-de-lit rouge pour s’en couvrir, puis ouvre la fenêtre et descend jusqu’au sol en s’aidant de la treille. Elle parvient à s’échapper de la propriété sans se faire remarquer, dévale la route, arrive à une fontaine, où elle rencontre une femme à qui elle demande de l’aide. N’arrivant pas à se faire comprendre à cause de son accent, elle dévoile ses blessures. Sur ce, le valet de Sade surgit, il offre à la fugitive une bourse pour qu’elle revienne, mais celle-ci refuse absolument. Pas question de revenir partager les jeux du marquis.

Recueillie par les habitants d’Arcueil, Rose est examinée par le médecin du village, Pierre-Paul Le Comte. Dans le rapport qu’il adressera ultérieurement au tribunal jugeant Sade, il note des contusions conformes à celles que pourrait faire un fouet orné de noeuds, mais aucune coupure par un canif, aucune grosse contusion occasionnée par un bâton et encore moins de brûlure de cire, comme Rose le prétendra. La réalité est bien "moins belle et excitante" que tout ce qu’on pourrait écrire par la suite.

Dans le village, on se doutait depuis bien longtemps que le marquis se livrait à la débauche dans sa maison. On entendait souvent des cris. Rose est donc prise au sérieux et la maréchaussée va aussitôt arrêter Sade. Il s’ensuit alors un long bras de fer entre le Parlement, qui veut sévir pour satisfaire l’opinion publique lasse des excès aristocratiques, et le pouvoir royal, pressé par le puissant clan de l’accusé de faire preuve d’indulgence. En fin de compte, le roi signe une lettre d’abolition annulant d’avance la condamnation de Sade à l’emprisonnement "pour le restant de ses jours". Après sept mois d’emprisonnement, le marquis retrouvera la liberté avec l’obligation de se retirer dans ses terres. Rose Keller se consolera de son aventure avec 2 400 livres et quelques contusions vite disparues.

C’est également arrivé un 3 avril

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1976 - Première cérémonie des Césars. Romy Schneider reçoit le prix d’interprétation féminine pour son rôle dans L’important, c’est d’aimer.

1973 - Premier appel passé d’un téléphone cellulaire par son inventeur Martin Cooper de Motorola à son rival Joel Engel de Bell Labs.

1948 - Harry Truman signe le plan Marshall.

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