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25 février 1830. La première de "Hernani" de Victor Hugo déclenche une bataille entre les spectateurs

mercredi 25 février 2015

Le Théâtre-Français est occupé par les jeunes romantiques chevelus et débraillés qui bouffent et pissent partout. Ah, les cochons !

Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Crécy, Marignan, Valmy, toutes ces batailles ne valent pas celle d’Hernani... Jamais deux armées n’ont été plus ardentes à se déchirer. Les romantiques ont porté à leur tête le général Hugo pour pourfendre le théâtre classique ennuyeux à mourir, aussi dénué de passion qu’un discours de Christine Boutin. Le 25 février 1830, c’est la première d’Hernani écrite par Victor, 28 ans. Ce n’est pas encore le vieux faune barbu, mais un jeune homme au tempérament de feu. Durant les 45 jours que la pièce tiendra l’affiche à la Comédie-Française, la bataille reste intense entre les deux camps. Les partisans du théâtre classique sifflent, hurlent, tandis que les jeunes romantiques organisent la résistance. Le théâtre est le dernier bastion dont la nouvelle vague veut s’emparer.

Hernani est un sombre drame historique ayant pour cadre la cour d’Espagne au XVIe siècle. Rien de folichon, mais Hugo a mis au panier toutes les conventions d’écriture ayant cours jusque-là. À la tête du Théâtre-Français, le baron Isidore Taylor accepte de monter la pièce de Hugo pour tenter de sauver la vénérable maison dont le répertoire classique et pompeux fait fuir les Parisiens vers les autres théâtres. Sa décision n’est pas du goût des comédiens du Français appelés à jouer la pièce. Ainsi, Mlle Mars qui incarne Doña Sol ne cesse de contester chaque vers lors des répétitions. Hugo doit la menacer de lui reprendre le rôle pour qu’elle se taise enfin.

Les vieux habitués de la Comédie-Française sont bien décidés à organiser un chahut monstre lors de la première. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que le camp romantique se prépare à les recevoir. Victor Hugo et Alexandre Dumas battent le rappel de leurs amis pour assister à la représentation du 25 février. Ils ne se satisfont pas de la claque habituelle constituée de spectateurs professionnels payés par la direction du théâtre. Ils s’en méfient, même. Les deux amis préfèrent sonner le rassemblement de leurs propres soldats du romantisme à qui ils font remettre un papier rouge sur lequel est inscrit un mot de passe : hierro (fer en espagnol). L’orchestre, la seconde galerie et le parterre, moins une cinquantaine de places, leur sont réservés, ne laissant que la part congrue à leurs adversaires. Le baron Taylor accepte même de leur ouvrir les portes bien avant l’ouverture officielle de façon à ce qu’ils puissent occuper la salle.

On ripaille, on trinque, on braille

Dès 13 heures, une étrange faune converge vers la Comédie-Française. "Des jeunes gens aux mines résolues, barbus, chevelus, habillés étrangement, portant les uns des chapeaux tromblons, d’autres des chapeaux Henri III, ceux-ci des vareuses, ceux-là des rubans que variaient des manteaux espagnols", écrit Adèle Hugo. Voici Adjani prenant garde de ne pas sourire pour obéir à son chirurgien. On reconnaît encore Fabrice Luchini jurant qu’il n’y a pas plus romantique que Philippe Muray. Mais celui que tout le monde remarque à cause de son gilet d’un magnifique rouge écarlate et de ses longs cheveux, c’est le jeune Théophile Gautier, 18 ans, alors lycéen. Il y a encore, Balzac, Berlioz, Borel aux avant-postes.

À 15 heures, la troupe romantique hurlante s’engouffre dans la salle. Le lever du rideau ne se fera que dans quatre heures. Alors, pour tromper l’ennui, les combattants déballent saucissons, cervelas, fromage, jambon, pain. Des bouteilles de vin également. On ripaille, on trinque, on braille. Et puis on pisse. Les toilettes ne sont pas encore ouvertes ? Gérard Depardieu, spécialement revenu de Belgique, montre l’exemple. Suivi de jeunes gens, il monte jusqu’aux troisièmes loges pour se débraguetter et laisser échapper un long jet d’urine. Quand le public des habitués pénètre enfin dans la salle, c’est l’effarement. Les "crânes" (ainsi appelés par les romantiques, car l’âge les a souvent rendus chauves) se bouchent le nez, détournent le regard de cette bande de sauvages. Les flaques d’urine déclenchent la colère. Ces messieurs font venir le directeur, qui, furieux, apostrophe Victor Hugo : "Votre drame est mort et ce sont vos amis qui l’ont tué." Le personnel du théâtre manifeste une hostilité à peine voilée.

6 000 francs en poche

Enfin, le rideau se lève. Dès la première réplique : "Serait-ce déjà lui ? C’est bien l’escalier / Dérobé...", la salle exprime bruyamment sa désapprobation. D’avoir rejeté le "Dérobé" au vers suivant, quel sacrilège ! Un tribu - nom des romantiques - ouvre le contre-feu en criant au "sublime !" Un plaisantin laisse tomber de petits papiers collants depuis les cintres. L’art classique bombarde la troupe romantique d’épluchures. C’est Balzac qui reçoit un trognon de chou en pleine trogne. Qu’à cela ne tienne, les chevelus applaudissent chaque réplique, étouffant l’ennemi. Au second acte, quelques classiques consentent tout de même à sourire.

Peu à peu, l’enthousiasme des romantiques balaie comme un feu de paille l’opposition. Chateaubriand, Mme Récamier, apprécient. Francis Huster oublie un instant son génie pour applaudir. Victor Hugo est dans un état second. Après le quatrième acte, un certain Mame, libraire, l’entraîne dehors pour lui acheter la pièce. Hugo refuse, le gaillard insiste. S’il est pressé, c’est qu’il craint un tel triomphe après la fin du dernier acte qu’il devrait alors proposer bien plus que les 6 000 francs qu’il offre à l’auteur. Il convainc Hugo d’aller dans un tabac pour y signer le contrat. Celui-ci revient assister à la fin de la représentation avec 6 000 francs dans sa poche. C’est effectivement un triomphe, même les loges acclament le nom de Victor Hugo. Les romantiques ont battu à plates coutures les classiques.

Deux balles à quelques centimètres de sa tête

Mais le lendemain, la presse éreinte la pièce. On accuse l’auteur d’avoir rempli la salle de "bandits ramassés dans les bouges". La représentation du soir risque d’être un four. Pour l’éviter, on rappelle les tribus. Quand le rideau se lève, chevelus et chauves s’affrontent pour une nouvelle bataille. Durant les quarante-cinq représentations d’Hernani, les escarmouches se poursuivent. Le 10 mars, on en vient même aux mains, ce qui oblige la police à investir le théâtre. Mais, au moins, les représentations font salle comble.

C’est un immense succès qui fait enrager certains. Hugo reçoit de nombreuses lettres d’injures. Deux tribus lui servent de gardes du corps. Une nuit, alors qu’il écrit à son bureau, une balle fait voler un carreau en éclats, puis une deuxième. Elles ne sont passées qu’à quelques centimètres de sa tête. Cependant, il ne porte pas plainte. Le général Hugo a gagné la bataille d’Hernani.
C’est également arrivé un 25 février

1988 - La Bomba - Alberto Tomba - remporte sa première médaille olympique aux JO de Calgary.

1986 - Ferdinand Marcos s’enfuit des Philippines de après 20 ans au pouvoir.

1964 - À 22 ans, Cassius Clay décroche son premier titre de champion du monde en battant au 7e round Sonny Liston par K.-O.

1948 - Ouverture du premier Festival international de jazz à Nice avec, en vedette, Louis Armstrong.

1922 - Henri Landru est guillotiné à la prison Saint-Pierre de Versailles pour le meurtre de huit femmes.

1873 - Naissance d’Enrico Caruso, le plus grand ténor de tous les temps.

1795 - Création des écoles centrales demandées par le député Joseph Lakanal.

1634 - Le fondateur de l’armée autrichienne, le commandant Wallenstein, est assassiné sur ordre de l’empereur Ferdinand II.


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