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2 décembre 1805. Tombé à Austerlitz, le colonel Morland est embaumé sur ordre de Napoléon.

mardi 2 décembre 2014

Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos
Contrairement à la légende, le corps du colonel n’a pas été mis dans un tonneau de rhum, mais momifié par le chirurgien Larrey.

Pas malin de mourir le jour d’une grande victoire. Si, le 2 décembre 1805, Napoléon remporte la bataille d’Austerlitz, c’est grâce au sacrifice du colonel Morland) Il faut dire que celui-ci n’est pas du genre à se barrer d’une entreprise en pleine Berezina en bénéficiant d’une retraite chapeau... Alors que l’issue du combat est incertaine, le colonel Morland, 34 ans, repousse la charge de la cavalerie de la garde impériale russe à la tête de quatre escadrons de chasseurs à cheval. Le sang et l’adrénaline coulent à flots. Hommes et chevaux forment une épouvantable mêlée de sueurs, de cris et de râles. Les sabres déchirent les chairs, les balles arrachent les vies. Les soldats français se battent avec le désespoir des Bleus face aux Ukrainiens. La victoire est là, mais François Louis de Morlan (de son vrai nom, sans le "d" qu’il a obtenu en même temps que son grade) n’est plus. Il est blessé mortellement. On le transporte à Brno, où il expire trois jours plus tard. Averti de sa bravoure, l’empereur décide d’en faire un exemple pour la patrie. Il ordonne que son corps soit rapatrié à Paris pour être placé dans un monument qui sera élevé au centre de l’esplanade des Invalides.

La légende prétend que, faute des ingrédients nécessaires pour embaumer un corps, les médecins auraient plongé Morland dans un tonneau de rhum pour le conserver intact jusqu’à Paris. Une belle foutaise ! La dépouille du colonel a bel et bien été momifiée par le chirurgien français Larrey à l’hôpital militaire de Brno, le même qui s’est occupé de Jean d’Ormesson... Dans ses Mémoires, le chirurgien laisse une belle description de son procédé "qui (lui) paraît préférable à celui des Égyptiens". Pour ceux que cela intéresse, voici sa recette :

"Si le sujet dont le corps doit être embaumé est mort de maladie chronique, avec marasme, pourvu qu’on ne soupçonne point des dépôts purulents dans les viscères, que la putréfaction ne soit pas déclarée et que le corps soit intact à l’extérieur, on peut conserver les entrailles dans les cavités respectives, excepté le cerveau qu’il faut toujours extraire." Larrey recommande de commencer par un nettoyage de fond en comble du patient. "Dans cette supposition, on commencera par laver toute l’habitude du corps avec de l’eau pure et fraîche ; on fera passer dans les gros intestins des lavements du même liquide, et on absorbera avec la seringue vide les matières délayées qui n’auraient pu sortir par leur propre poids et la pression exercée sur le bas-ventre. On absorbera aussi les matières contenues dans l’estomac avec le même moyen. Il suffirait d’adapter une sonde oesophagienne au siphon de la seringue qu’on introduit dans le viscère par la bouche ou par une ouverture pratiquée à l’oesophage, au côté gauche du cou..."

Pour vider le crâne...

Une fois la dépouille propre comme un sou neuf, Larrey entame le traitement assurant la conservation des chairs. "On remplit l’estomac et les intestins d’une matière bitumineuse qu’on met en fusion, on bouche les ouvertures et l’on procède de suite à l’injection du système vasculaire. Pour cela, on détache un lambeau triangulaire de la partie antérieure et latérale gauche de la poitrine, vis-à-vis la crosse de l’aorte ; on coupe un ou deux cartilages qui la recouvrent ; on place dans l’intérieur de cette artère un siphon à robinet, à la faveur duquel on pousse une injection fine colorée en rouge, pour remplir les vaisseaux capillaires de tout le système membraneux. On fait immédiatement après, et par le même moyen, une seconde injection plus grossière pour remplir les artères et leurs ramifications, et une troisième pour les veines, qui doit être poussée par l’une des crurales : on laisse refroidir le cadavre et figer la matière des injections."

Maintenant, c’est la partie la plus délicate de la recette, celle que les candidats de Masterchef redoutent plus que tout : le déshabillage du crâne avec extraction de la cervelle : "Pour vider le crâne, on applique une large couronne de trépan à l’angle d’union de la suture sagittale à la suture occipitale, après avoir fait une incision longitudinale à la peau, sans couper les cheveux, qu’on a soin de conserver comme les poils des autres parties du corps. Cette ouverture faite, on rompt les adhérences et les replis de la dure-mère à l’aide d’un scalpel à deux tranchants, long et étroit ; on arrache les lambeaux de cette membrane avec une érigne mousse, et l’on fait sortir toute la masse du cerveau et du cervelet avec le même instrument, et des injections d’eau froide, qui dissolvent promptement la substance cérébrale ; on réunit ensuite les bords de la division des téguments avec quelques points de suture."

Troisième étape, redonner au cadavre un air présentable. "On remplit ensuite ces cavités de crin lavé et sec ; on rétablit les formes du bas-ventre, et l’on fixe les deux bords de l’incision au moyen d’une suture à points par-dessus ; enfin, l’on plonge le corps ainsi préparé dans une suffisante quantité de muriate suroxygéné de mercure, aussi forte qu’il est possible de l’obtenir : on le laisse tremper dans cette liqueur l’espace de quatre-vingt-dix à cent jours." Le colonel est donc bien rapatrié dans un tonneau remplit d’un liquide qui n’a donc rien d’enivrant.

Couche de vernis

Reste à passer au séchage du spécimen : "Lorsqu’il est bien saturé de cette dissolution, on le place sur une claie, exposé à l’action graduée d’un foyer de chaleur établi dans un lieu sec et aéré. Au fur et à mesure que les parties se dessèchent, on rétablit les formes naturelles des traits de la face, la conformation des membres, et on leur donne l’attitude convenable ; on place deux yeux d’émail entre le globe rétracté de l’oeil et les paupières ; on donne une teinte aux cheveux relative à leur couleur, si on le juge nécessaire, et l’on passe, sur toute l’habitude du corps, un vernis légèrement coloré qui anime les teintes de la peau, et lui conserve l’aspect de la fraîcheur."

Le corps du colonel Morland arrive à Paris le 16 février 1806 accompagné par la garde impériale. En attendant la construction de son mausolée (qui ne verra jamais le jour), il est confié aux bons soins de la faculté de médecine de Paris. Son embaumement est une formidable réussite, au point qu’il semble aussi vivant que Johnny. Sa famille même s’y trompe. Une parente tombe en syncope, ne le croyant qu’endormi. Durant des années, le pauvre colonel reste exposé parmi les momies de la faculté. On l’y oublie. Napoléon a d’autres soucis en tête que de lui bâtir son monument. En 1818, sa famille parvient enfin à le récupérer pour l’enterrer dans l’église de son village natal de Souilly, dans la Meuse
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C’est également arrivé un 2 décembre

1987 - Arrestation de Thierry Paulin, tueur en série de 21 vieilles dames.

1982 - Barney Clark, 61 ans, est le premier être humain à recevoir un cœur artificiel.

1980 - Suicide de l’écrivain Romain Gary.

1971 - Indépendance des Émirats arabes unis.

1961 - Fidel Castro déclare qu’il est marxiste-léniniste et que Cuba deviendra une île communiste.

1959 - La rupture du barrage de Malpasset (Var) provoque la mort de 423 personnes.

1945 - La France nationalise le crédit, la Banque de France et plusieurs autres banques.

1934 - Johnny Weissmuller est choisi pour incarner Tarzan au cinéma.

1933 - La prohibition prend fin aux États-Unis.

1923 - Naissance de Maria Callas à New York.

1901 - King Camp Gillette crée un rasoir mécanique à lames interchangeables.

1887 - Jules Grévy démissionne de son poste de président de la République française.

1814 - Décès du Marquis de Sade à 74 ans


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