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18 août 1572. Pour son mariage avec Marguerite, Henri IV doit patienter devant Notre-Dame.

mardi 18 août 2015

Parce que le futur roi de France est encore huguenot, il ne peut pas suivre sa promise dans la cathédrale.
Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Tout oppose ces deux-là. À 18 ans, Henri de Navarre a conservé de son enfance béarnaise des moeurs grossières. Il adore la chasse et la bagarre. La propreté n’est pas son obsession. Pas bégueule, il culbute tout ce qui passe à portée de son membre. À 19 ans, Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis et d’Henri II, sait le latin, le grec, l’italien et l’espagnol. Fine lettrée, elle n’en oublie pas pour autant d’être très coquette. Et si elle partage la même boulimie sexuelle que son futur époux, au moins choisit-elle ses amants parmi les grands du royaume. Après un béguin pour VGE, elle noue une idylle avec Henri de Lorraine, duc de Guise. Ce qui est certain, c’est qu’Henri et Marguerite, pourtant élevés ensemble à la cour de France, n’ont jamais été attirés l’un par l’autre. Enfin, un océan religieux les sépare : il est huguenot, elle est catholique. Et aucun des deux ne veut changer de religion.

En fait, Catherine de Médicis avait commencé par chercher à marier sa fille au fils du roi d’Espagne, puis au roi du Portugal. Échecs. Du coup, à l’été 1571, elle ressort des tiroirs un vieux projet de son époux Henri II d’unir leur fille au chef du parti protestant, lequel se trouve être le jeune Henri de Navarre. Après tout, si ce mariage pouvait réconcilier catholiques et protestants qui viennent de s’affronter lors de la troisième guerre de religion... À moins que la machiavélique reine veuve ne cherche au contraire à avoir tous les huguenots sous la main pour mieux les éliminer...

Aussitôt, Catherine de Médicis propose l’affaire à la mère du futur Henri IV, la reine de Navarre, Jeanne d’Albret. Une huguenote pur jus. En comparaison, Khomeini apparaît comme un islamiste sans conviction... Inutile de dire que les négociations sont rudes. Jeanne exige que Marguerite se convertisse à la Réforme. Cette dernière s’y refuse absolument. Par dépit, Jeanne exige une énorme dot de la part de la reine mère. Le contrat de mariage est signé le 11 avril 1572, mais Jeanne n’assistera pas au mariage de son fils, car elle meurt de tuberculose le 9 juin 1572.

Henri exempté de messe

Sans attendre la dispense du pape, nécessaire, car les deux mariés sont de religions différentes et lointains cousins, l’union de Marguerite et d’Henri est célébrée le 18 août 1572 à Notre-Dame de Paris, le lendemain de leurs fiançailles. Huit cents gentilshommes réformés, partisans du roi de Navarre, ont rallié Paris pour assister à la noce. Dont le très respecté Gaspard de Coligny. On avait un moment pensé à organiser une cérémonie intime, car on est encore dans le deuil de Jeanne d’Albret, mais Catherine de Médicis impose un mariage en grande pompe dans la cathédrale. Contrairement à ce que peut laisser penser son aspect de veuve noire, la reine mère adore les fêtes fastueuses. Elle en organisera tout au long de son règne, qui réuniront les grands seigneurs catholiques et huguenots.

Les deux cortèges de la mariée et du marié se présentent séparément devant la cathédrale. Les courtisans de la cour se présentent donc dans leurs plus beaux atours. Abandonnant exceptionnellement sa tenue de deuil, Catherine de Médicis est couverte de diamants. Son fils, le roi Charles IX, est resplendissant comme le soleil. Son autre fils, le duc d’Anjou (futur Henri III), arbore un costume de satin jaune pâle couvert de perles et de broderies argentées. La jeune épousée, Marguerite, est plus belle que jamais dans une robe dorée légèrement décolletée et recouverte d’un manteau de velours bleu à fleurs de lys portée par trois princesses. Elle porte encore une couronne et l’hermine mouchetée couverte des pierreries de la couronne : c’est un déluge de couleurs et de bijoux qui stupéfie les Parisiens. Face aux tenues luxuriantes des papistes, beaucoup de huguenots se contentent de paraître en habit noir à large col blanc. Le jeune marié a pourtant choisi de revêtir un habit digne de l’événement.

Les deux héros de la fête ont le visage fermé au milieu du cortège rassemblant des milliers de seigneurs, de magistrats, de prêtres, de soldats, de bourgeois. Tous les Guise sont là. Y compris Henri, portant balafre et ancien amant de Marguerite. Seule la future mariée pénètre dans Notre-Dame, au bras de son frère, le duc d’Anjou, qui remplace le Béarnais le temps de la cérémonie. En effet, avant de mourir, Jeanne d’Albret avait exigé que son fils n’assistât pas à la messe célébrée dans la cathédrale. Le futur Henri IV attend donc sur le parvis en compagnie de sa suite. Bientôt, sa promise sort pour la bénédiction nuptiale qui se déroule sur une estrade dressée pour l’occasion devant la cathédrale. Un page de Catherine de Médicis rapporte que Marguerite hésite à prononcer le fameux oui. Il faut que son frère, le roi, lui fasse incliner la tête de la main. Vrai ou faux ?

Les huguenots humiliés

La cérémonie achevée, tout le monde est convié à un festin. Durant trois jours, ou plutôt trois nuits, ce ne sont que bals, farces et tournois. Malgré l’atmosphère lourde régnant entre les deux partis, Catherine veut qu’on s’amuse. Ses enfants royaux, son nouveau gendre et les grands du royaume participent à des mascarades représentant des scènes mythiques. Comme par hasard, les huguenots n’y ont pas les meilleurs rôles. Ainsi, le mercredi 20 août, ils participent à un divertissement intitulé Le Mystère des trois mondes, en l’hôtel de Bourbon. Deux chevaliers errants incarnés par le nouveau marié et le prince de Condé, son cousin, essaient de pénétrer dans un paradis peuplé de nymphes. Mais ils sont repoussés par des anges armés (le roi et ses frères) jusqu’en enfer. Le lendemain, autre humiliation pour les protestants à l’occasion d’une pantomime simulant un tournoi. Cette fois, le roi de Navarre et ses compagnons sont déguisés en Turcs, coiffés d’énormes turbans verts. Ils sont défiés et vaincus par le roi et ses deux frères incarnant des amazones, le sein nu et armés d’arcs.

Au fur et à mesure du déroulement des festivités, la tension monte dans Paris la catholique, encombrée de huguenots. Une canicule écrase la capitale et échauffe les esprits. Les incidents se multiplient entre les courtisans et les partisans du Navarrais. Ces derniers demandent un droit d’inventaire des premières années du règne de Charles IX... Le jeudi 21 août, les fêtes s’achèvent enfin. Le lendemain, revenant d’une visite au roi pour plaider la cause des huguenots, l’amiral de France Gaspard II de Coligny est blessé par deux coups de feu tirés par un tueur embusqué. Deux jours plus tard, c’est le massacre de la Saint-Barthélemy. À noter que Marguerite sauvera plusieurs serviteurs de son époux et n’en profitera pas pour faire annuler leur mariage. Prisonnier à la cour, Henri est contraint d’abjurer le protestantisme le 26 septembre 1572. Durant quatre ans, il vit en bon catholique avant de s’évader de la cour et de son épouse en 1576 pour retrouver la religion de sa mère.


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