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17 juin 1939. Le séducteur assassin Eugène Weidmann est filmé durant son exécution.

mercredi 17 juin 2015

VIDÉO. À cause du scandale, Weidmann sera le dernier condamné à mort à être guillotiné en public.

Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Il est 4 h 30 du matin, le jour commence à se lever. Des centaines de Versaillais et de Parisiens s’agglutinent depuis la veille au soir devant la prison Saint-Pierre de Versailles, pour ne rien rater du spectacle : la mise à mort du ténébreux Eugène Weidmann. La foule, en majorité composée de femmes, se bouscule autour de la guillotine pour apercevoir une dernière fois le beau mâle. À 2 h 50, elle observe avec curiosité le montage de la guillotine, mais c’est la tête de Weidmann que ces bonnes gens désirent voir sauter comme un bouchon de champagne ! Même les journalistes, pourtant pourchassés par la police depuis des heures, ont réussi à se trouver des places de choix dans les arbres ou dans les immeubles avec vue plongeante sur la "Veuve".

Le spectacle prend du retard. Weidmann devait être exécuté voilà déjà plus de trois quarts d’heure ! Enfin, la lourde porte de la prison s’ouvre, le jeune condamné allemand de 31 ans apparaît, il a vraiment une belle tête, c’est presque dommage qu’il faille la lui couper. Il arbore une chemise bien échancrée, d’un blanc immaculé qui ne va pas le rester. Il est soutenu par deux assistants de l’exécuteur en chef, Jules-Henri Desfourneaux. Jean-François Copé vient lui serrer la main pour lui exprimer sa solidarité d’innocent condamné... La foule retient son souffle, les aides installent le condamné sur la plateforme de la guillotine sous l’oeil de "Monsieur de Paris", ainsi qu’on surnomme le bourreau, puis le poussent légèrement pour mettre la tête en position. Et en moins de temps qu’il n’en faut pour se couper un ongle, l’exécuteur lâche la lame de sept kilos. Un son lourd et sec retentit. La tête tombe. Le sang gicle. Le corps étêté roule dans la grande corbeille en osier destinée à l’accueillir. Dans la foule, Jean-Marie Le Pen circule en demandant : "Avec un nom pareil, n’était-il pas juif ?"

Tremper dans le sang

Il est 4 h 32. Emballé, c’est pesé. Tout s’est déroulé en un éclair. Les assistants rangent le matos au milieu des gémissements de femmes. Certaines trempent leur mouchoir dans le sang du supplicié au pied de l’échafaud pour conserver un sympathique souvenir mortuaire. Pendant ce temps, d’autres badauds sablent le champagne, le service d’ordre, lui, est complètement débordé. Une vraie fête à neuneus, cette exécution. Que tout le monde en profite, c’est la dernière exécution publique ! Quand le président du Conseil Édouard Daladier verra les photos de tout ce chambard, il fera interdire les exécutions capitales en public, et fissa. Hormis pour Arthur, ce salaud qui s’est enfui en Belgique.

Délinquant médiocre dans sa jeunesse, enchaînant quelques peines de prison au Canada et en Allemagne, Weidmann arrive en France en avril 1937. Avec un ancien codétenu, Roger Million, il s’invente un nouveau commerce : enlever des individus nantis et les séquestrer dans une maison louée à La Celle-Saint-Cloud, en banlieue parisienne, la villa La Voulzie, le temps que leurs proches livrent les rançons. Weidmann est grand, bel homme, cite Goethe à tout bout de champ, et surtout, c’est un charmeur hors pair. Un clin d’oeil lui suffit pour séduire.

Charme et strangulation

C’est ainsi qu’il attire sa première victime à La Voulzie, une danseuse américaine nommée Jean de Koven, visitant Paris. Elle tombe sous le charme instantanément, il est si doux, chaleureux, courtois, attentif, et surtout si prévenant. Prévenant, c’est le moins qu’on puisse dire, car le 21 juillet 1937, au lieu de garder la danseuse prisonnière comme prévu, il ne peut pas se retenir de lui serrer le cou entre ses deux mains jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le contenu de son sac à main était bien trop tentant. Dès lors et durant les deux mois suivants, Weidmann se met à tuer comme Pygmalion signe des fausses factures. Après la danseuse, il rectifie cinq autres personnes choisies presque au hasard. Un chauffeur de taxi, une gouvernante, un impresario, un petit escroc et un agent immobilier. Les sommes qu’il leur dérobe sont tellement dérisoires qu’on a peine à croire que sa motivation principale est l’argent. Serait-il poussé par un instinct meurtrier ?

En décembre, Weidmann finit par être arrêté, suspecté de deux meurtres. Sans que les policiers aient besoin d’insister, il avoue six meurtres ! Après un procès particulièrement sensationnel et médiatisé, Weidmann est condamné à la peine capitale le 31 mars 1939, tout comme son complice Million. Tueur ou pas tueur, le dandy allemand continue de fasciner les femmes. Jour après jour depuis son arrestation, elles sont de plus en plus nombreuses à lui déclarer leur flamme. À la prison, chaque matin, c’est le même cinéma, des montagnes de lettres d’amour arrivent, dans lesquelles les demandes en mariage sont récurrentes. On lui fait aussi livrer des fleurs pour décorer sa cellule et même des chats pour lui tenir compagnie ! On croit rêver. Elles sont folles, il le dit lui-même, aussi folles que l’une de ses avocates, Renée Jardin, qui succombe à son tour à son charme.

Hystérie

Pas étonnant qu’on frise l’hystérie ce 17 juin 1939 à l’aube, devant la prison de Versailles, au moment où sa tête tombe. La veille, tout était pourtant parfaitement calme à la prison. Eugène Weidmann venait d’apprendre que son pourvoi en grâce avait été rejeté par le président Albert Lebrun, alors qu’il l’avait accordé à ce salaud de Million. Le bourreau de ces dames reste néanmoins serein, caresse ses chats et relit L’Imitation de Jésus-Christ. Il est prêt à mourir. À 3 h 50, il s’étonne même qu’on ne soit pas déjà venu le chercher, il devrait déjà être mort. C’est que Henri Desfourneaux, l’exécuteur en chef, s’est disputé avec le procureur de Versailles au sujet de l’heure de la mise à mort : ils ne sont pas d’accord entre l’heure légale et l’heure solaire.

Les photographes s’en réjouissent : grâce à ce désaccord, le soleil est déjà assez haut dans le ciel quand Weidmann entre en scène. Ils peuvent shooter et même filmer ! Jamais auparavant on n’avait eu une série de photos aussi claire, aussi nette, ni aussi terrible d’une exécution. Jamais on n’avait eu un si beau film ! Édouard Daladier, alors président du Conseil, est furieux ! La France frémit d’horreur en découvrant les images étalées dans la presse. Les clichés font même le tour du monde en ternissant l’image du pays à seulement quelques mois de la guerre.

Quelques jours après l’exécution, le 24 juin, Daladier promulgue illico un décret-loi pour que les exécutions se passent à l’abri des regards, dans les cours intérieures des prisons. Voilà comment un privilège vieux de 150 ans de faire la fête autour d’une guillotine est aboli. La récréation est terminée, fini les exécutions-spectacles. Tout ça à cause d’un idiot d’Allemand. Quelle idée, aussi, de venir flinguer sur le territoire français en 1937 ! S’il avait attendu juste un peu, son sport favori ne lui aurait pas valu la guillotine


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