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11 juillet 1833. Crime atroce de deux fermiers australiens qui décapitent un Aborigène nommé Yagan

samedi 11 juillet 2015

Exhibée en Angleterre avant d’y être enterrée, la tête revient au pays 164 ans plus tard, réclamée par la communauté Noongar.

Ils sont marrants, ces Aborigènes. En débarquant en Australie voilà 50 000 ans, ils oublient de passer chez le notaire pour déposer leurs titres de propriété. Et après, ces étourdis s’étonnent de se faire "voler" leurs terres par les colons anglais. Au lieu de passer leur temps à rêver à leurs ancêtres, à ramasser des noisettes, et à tuer des kangourous, ils auraient mieux fait de planter des panneaux "Passez votre chemin, propriété privée". Bref, quand les colons britanniques commencent à déferler en Australie à la fin du XVIIIe siècle, ils sont à mille lieues de penser que ceux qu’ils considèrent comme des animaux ayant vaguement forme humaine sont les propriétaires du sol. Alors ils accaparent les meilleures terres en les entourant de clôtures. Et de temps en temps, pour chasser l’ennui, ils chassent à courre avec un Aborigène à la place d’un renard.

Revenons à l’Aborigène Yagan. Le 11 juillet 1833, les deux frères Keates, James et William, gardent du bétail du côté de la Swan River, dans l’Ouest australien. Parmi une troupe d’Aborigènes de la nation Noongar qui s’approche d’eux, ils reconnaissent Yagan, dont la tête est mise à prix pour vol de bétail et meurtre. Après s’être rapidement concertés, William l’abat sans sommation d’un coup de carabine, tandis que James tire sur un autre Aborigène. Mais ils ont le dessous et doivent s’enfuir. Durant sa fuite, William est mortellement atteint par une lance, tandis que James parvient à s’échapper en traversant une rivière à la nage. Après avoir trouvé du renfort chez des fermiers voisins, James revient sur le lieu de l’affrontement, enterre son frère et coupe la tête de Yagan pour la remettre aux autorités en échange de la prime.

Représailles

L’histoire de Yagan est celle de milliers d’Aborigènes chassés de leur terre ancestrale, devenus voleurs par nécessité. Il naît en 1795 dans la tribu Noongar, établie sur la côte ouest de l’Australie, du côté de l’actuelle ville de Perth. À sa naissance, personne n’a encore vu de colons européens dans les environs. Ils déboulent vers 1829, s’établissant le long de la Swan River. Les deux premières années, les relations entre les arrivants et les Aborigènes sont cordiales. Tout change quand les Blancs, culottés comme pas deux, enclosent leurs propriétés sans même se concerter avec les natifs. Privés de leurs zones de chasse et de cueillette, ceux-ci n’ont d’autre choix que de de voler les récoltes et le bétail des Blancs. Ils continuent également à mettre le feu au bush pour améliorer la repousse des plantes dont ils ont besoin. Que les incendies brûlent parfois les récoltes et les maisons des colons, ils n’en ont rien à cirer. Sauvages ! C’est forcé, la cohabitation devient de plus en plus difficile.

En décembre 1831, un fermier tue un Aborigène du clan de Yagan surpris en train de voler des pommes de terre. En guise de représailles, Yagan tue une jeune femme dans une ferme. C’est la loi du bush : un membre de ton clan est tué, tu as le droit de tuer un membre du clan des assassins. Un Corse comprendrait, mais pas les colons, qui accusent Yagan d’assassinat. Le voilà en cavale. En octobre 1832, Yagan est capturé, mais échappe à la corde grâce à la plaidoirie d’un colon expliquant que l’Aborigène n’a fait que défendre sa terre contre l’invasion des fermiers. Il est condamné à passer le restant de ses jours dans une île dont il s’échappe bientôt, continuant à voler et à tuer pour survivre. Jusqu’à son assassinat par les frères Keates.

Curiosité anthropologique

C’est alors le début d’une longue odyssée pour la tête de Yagan. En effet, un certain Robert Dale convainc le gouverneur local, Irwin, de la lui confier pour la rapporter à Londres en tant que "curiosité anthropologique". Yagan découvre ainsi la capitale anglaise, qui ne lui fait pas grande impression. Trop de monde, pas assez de kangourous. Durant dix-huit mois, il prend pension chez le chirurgien Thomas Pettigrew, qui l’expose chez lui. En octobre 1835, Yagan est transféré à la Liverpool Royal Institution, où il devient un fervent supporter des Reds. Il y reste soixante ans avant d’être transféré au Musée de Liverpool. En avril 1964, la direction du musée décide d’offrir une sépulture à l’Aborigène. Pour qu’il ne s’ennuie pas sous terre, on lui donne deux compagnons : une momie péruvienne et une tête maorie. Malheureusement, même le langage des signes leur est interdit... Dans la même tombe, encore, les autorités enfouissent une vingtaine de foetus et deux enfants mort-nés.

Yagan se croit alors condamné au repos éternel, très loin de sa patrie d’origine. Mais pas du tout, car au pays on ne l’a pas oublié. Au début des années 1980, la communauté Noongar, se rappelant son existence, réclame le rapatriement de sa tête. Elle explique que l’âme de leur glorieux ancêtre est en stand-by tant que la tête ne retrouvera pas son corps. Mais il y a un os : les Anglais ont perdu la trace de la tête. Une longue enquête s’amorce. Ce n’est qu’en décembre 1993 que la tombe de Yagan est retrouvée au cimetière d’Everton. Suit alors une incroyable bataille administrative et diplomatique entre les autorités anglaises, australiennes et la communauté aborigène. Premier problème : accéder à la tête. Cela demande de déplacer les foetus placés au-dessus d’elle. Il faut donc obtenir le consentement des familles. Cinq sont retrouvées, mais quatre d’entre elles refusent qu’on touche à leur foetus. Bref, la demande d’exhumation de Yagan est rejetée.

Tribulations

Le 20 mai 1997, Colbung, le chef de la communauté des Noongar, débarque à Londres avec son boomerang de guerre. Ça va chauffer. Un repérage électromagnétique permet de localiser l’emplacement exact de la boîte métallique contenant la tête de Yagan dans la tombe. Ce qui permet de creuser un tunnel horizontal pour la récupérer sans réveiller ces petits anges... Mais, au moment où Colbung s’apprête à récupérer Yagan, voilà qu’un Noongar du nom de Corrie Bodney saisit la cour suprême d’Australie-Occidentale, affirmant que le guerrier aborigène appartient à son groupe familial et que le crâne doit donc lui être restitué. Le sac de noeuds ! Finalement, la demande de Bodney est repoussée, et Yagan peut enfin prendre l’avion avec Colbung le 31 août 1997 pour retourner chez lui. En bagage accompagné, pour lui éviter d’avoir à payer un billet.

Après cent soixante-quatre ans d’absence, la tête de Yagan retrouve sa terre natale. Mais qu’en faire ? Aux Britanniques, les Aborigènes ont affirmé vouloir la récupérer pour la rattacher à son squelette. Le problème, c’est que personne ne sait où celui-ci est enterré. Chacun pense connaître l’emplacement, et c’est reparti pour une prise de tête. Après de nombreuses tribulations supplémentaires, Yagan est inhumé le 10 juillet 2010, lors d’une cérémonie privée célébrant le 177e anniversaire de la dernière journée qu’il passa sur terre. À proximité du lieu où son cadavre est supposé reposer.


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