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jeudi 25 juin 2015

Dans "Meurtre à Pacot", Raoul Peck raconte l’après-séisme de 2010, brûlante radioscopie de la société haïtienne. Ce soir, sur Arte, à 22 h 45.

Par Valérie Marin la Meslée

Pacot est un quartier historique et bourgeois de Port-au-Prince, capitale d’Haïti. On y trouve quelques-unes des plus jolies maisons « ginger bread », qui, construites en bois, ont mieux résisté que les demeures en béton au tremblement de terre de magnitude 7.3 qui a coûté plus de 220 000 victimes au pays le 12 janvier 2010. C’est en se promenant dans ce quartier, alors qu’il tournait son film coup de poing sur l’aide internationale dans son pays natal, Assistance mortelle, que le cinéaste haïtien Raoul Peck a songé que la catastrophe ne se racontait pas seulement à travers les camps de réfugiés. Pourquoi pas au secret de ces quartiers-là ?

Ainsi est née sa fiction, Meurtre à Pacot, qui se déroule peu de temps après le séisme, à huis clos, dans une maison cossue dudit quartier. Fissurée de toutes parts, elle reste en partie habitable, décrète l’expert venu constater les dégâts. À condition d’y faire des travaux de toute urgence. Pour les payer, le couple de propriétaires qui campe dans la cour doit louer sa maison. Un jeune humanitaire « blanc » (qui veut dire étranger en Haïti, qu’importe la couleur) débarque (Thibault Vinçon) avec, à son bras, tout en jaune, sa jeune maîtresse haïtienne, une vraie bombe (Lovely Kermonde Fifi, comédienne haïtienne promise à un bel avenir et poétesse aussi), qui gémit nuitamment sous les caresses de son amant.

L’occupant humanitaire

Entre l’(ex)-maître des lieux, un bourgeois glacial et cassant (Alex Descas), son épouse nombriliste (la chanteuse Ayo en parfait contre emploi !), angoissée de ne plus avoir de domestiques, et les nouveaux venus, ce sont les relations humaines et sociales qui dessinent la carte d’Haïti au moment où le pays a une chance de se reconstruire sur tous les fronts... Mais comment faire bouger les frontières de classe ? La belle et jeune Andrémise incarne la volonté de celles qui sont prêtes à tout pour quitter le pays et s’en sortir, quels que soient les moyens pour y parvenir, y compris changer de prénom : la voilà devenue Jennifer. Elle est un peu la réplique féminine du jeune homme de Théorème qui vient bouleverser une famille italienne de son insolence superbe de naturel et de liberté, Raoul Peck évoquant clairement cette référence pasolinienne pour son Meurtre à Pacot.

Lui, Alex, (dont l’ONG s’appelle Beyond Aid Unlimited !), représente la toute-puissance de l’occupant humanitaire, et derrière son personnage on entend la lettre que l’écrivain Lyonel Trouillot adressa comme une parabole à ces humanitaires encombrants... « Adieu l’ami », publiée dans le recueil C’est avec mains qu’on fait chansons (éditions Le Temps des cerises).

C’est d’ailleurs à son compatriote Trouillot que Raoul Peck, avec la complicité de Pascal Bonitzer, a confié l’écriture de son film à partir de quelques éléments fondateurs : un huis clos. Quatre personnages. Un meurtre à la fin. Tourné en 2013 à Port-au-Prince, sorti en 2014, il a été présenté aux festivals de Toronto et à la Berlinale avant sa diffusion sur Arte ce soir à 22 h 45, et en replay pendant les sept jours suivants.


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