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Obama en Éthiopie : "Un fils de l’Afrique" à l’Africa Hall

mardi 28 juillet 2015

Le président américain a mis à profit son voyage historique pour aborder nombre de sujets : démocratie, économie, corruption, sécurité, terrorisme...

C’est une véritable rock star qui a été accueillie, mardi, à Addis Abeba. Pour la première fois, un président américain en exercice allait prononcer un discours devant l’Union africaine. Un moment “historique” pour la présidente de la Commission Nkosazana Dlamini-Zuma. Barack Obama, “un fils de l’Afrique” comme il s’est lui-même défini, a arraché des rires et déployé des applaudissements. Mais la visite diplomatique du chef d’État américain n’avait rien d’un spectacle de cabaret. Durant son discours, Barack Obama s’en est immédiatement pris aux dirigeants africains qui refusent de lâcher le pouvoir, lui-même arrivant au terme de son second mandant. Mais non sans humour : “Je pense que j’ai été plutôt un bon président. Je pourrais même encore gagner ! (…) Quand un chef d’État tente de changer les règles au milieu du jeu pour rester en poste, il crée des risques d’instabilité et de conflit, comme on l’a vu au Burundi. Si un dirigeant pense qu’il est le seul à pouvoir guider son pays, alors c’est qu’il a échoué à réellement créer une nation.” En évoquant à la fois Georges Washington et Nelson Mandela, Barack Obama a ravivé les cris de la foule, avide de démocratie.

Droits de l’homme, un sujet bien délicat

La démocratie justement. En Éthiopie, tout le monde l’attendait au tournant : Barack Obama osera-t-il critiquer son grand allié dans la lutte contre le terrorisme sur ses failles dans le respect des droits de l’homme ? Il a osé, mais à sa manière. “Je sais que certains pays ne le font pas. Certains dirigeants préfèrent se taire mais ce n’est pas dans notre habitude. C’est une responsabilité internationale de s’exprimer. Et l’Amérique le fera - même si c’est gênant, même s’il faut l’avouer à un ami.”

C’est que selon le Comité de Protection des Journalistes (CPJ), l’Éthiopie arrive 4e au classement des pays exerçant la plus grande censure. Arrestations, surveillance, loi anti-terrorisme utilisée à tout-va... Deux semaines avant l’arrivée de Barack Obama, cinq journalistes et blogueurs incarcérés depuis plus d’un an ont soudainement été libérés. Soutenu par un public approbateur, le président conclut : “Il peut y avoir des élections ouvertes. Mais quand des journalistes sont arrêtés pour avoir fait leur travail, ou quand des activistes sont menacés, vous effleurez le nom de démocratie, mais jamais sa substance.” Le président américain s’est comme rattrapé après avoir évoqué lundi “un gouvernement démocratiquement élu”. Un terme qui gêne en Éthiopie, où l’EPRDF, le parti au pouvoir depuis un quart de siècle a raflé 100% des sièges au parlement fin mai. Barack Obama avait exhorté ce gouvernement à « faire plus », lors d’une conférence de presse. « Il reste du travail à faire et je pense que le premier ministre est le premier à admettre qu’il y a encore à faire. » Hailemariam Desalegn, sans jamais définir son pays comme une démocratie, a reconnu que le “processus de démocratisation avançait (...) et nous avons répété encore une fois que notre engagement est réel et non superficiel”.

La nécessaire solidarité contre al-shebab et le terrorisme mais...

Le terrain des droits de l’homme est glissant. Mais Barack Obama a pris le taureau par les cornes. Dawit, un pêcheur de quarante ans venu en vacances à la capitale, expliquait n’espérer qu’une chose de la venue du président américain : « Il ne faudrait pas entendre uniquement parler de soutiens dans la lutte contre le terrorisme. Obama doit parler des organisations politiques, des droits du peuple, comment développer la démocratie etc... Obama doit parler de cela avec le parti au pouvoir ! » Sujet délicat car l’Éthiopie est LE grand allié des états-Unis dans la lutte contre le terrorisme.

Addis Abeba joue un rôle central dans la lutte contre les islamistes somaliens al-shebab, avec le plus important contingent (4 400 hommes) au sein de la force de l’Union africaine en Somalie (Amisom). La semaine passée, les troupes éthiopiennes sont parvenues à reprendre le contrôle des villes de Bardhere et de Dinsor, deux bastions des shebabs. Mais dimanche dernier encore, une attaque à la voiture piégée contre un hôtel de Mogadiscio, revendiquée par les islamistes somaliens, a fait treize morts. Conscient de cette menace directe permanente, Obama a salué « la contribution de l’Éthiopie à la mission de l’UA (qui) a permis de réduire les zones sous contrôle islamistes. Les groupes comme Al Shabab ne sont rien d’autre que la mort et la destruction et doivent être stoppés. Il ne s’agit pas d’envoyer nos marines. Il reste encore du travail et nous devons maintenir la pression ».

Soudan du Sud : des sanctions possibles

Autre gros dossier sécuritaire : le conflit au Soudan du Sud qui ravage le plus jeune État du monde depuis un an et demi. L’Éthiopie est souvent l’hôte des négociations de paix et accueille le plus grand nombre de réfugiés sud-soudanais. De l’autre côté, Washington se sent une responsabilité : les États-Unis ayantsoutenu le référendum pour l’indépendance du Soudan du Sud en 2011 ont une “obligation” à agir, analysait Ben Rhodes, conseiller de Barack Obama sur la sécurité. “Nous avons une relation énorme avec le Soudan du Sud au niveau de l’assistance que nous lui apportons, et nous avons joué un rôle dans son histoire.”

Lundi soir, Barack Obama, Hailemaria Desalegn et les présidents ougandais et kényan se sont réunis pour discuter de la résolution du conflit. « Il y a eu énormément de temps et d’efforts consacrés pour tenter de rapprocher les différentes parties. Quoiqu’il en soit, la situation se détériore (...) et on ne peut vraiment plus attendre, a fait savoir le président américain. Ni Salva Kiir ni Riek Machar ont montré un quelconque intérêt à épargner leur peuple de la souffrance ou à trouver un compromis politique. Si je ne vois pas d’avancée d’ici le 17 août (date du prochain sommet de l’IGAD, NDLR), alors nous devrons voir quels autres outils nous avons pour accroître la pression sur les parties », a déclaré le chef de la Maison-Blanche. Des sanctions décidées par le Conseil de sécurité de l’ONU pourraient être instaurées.

Économie : la volonté de faire mieux que la Chine

Au-delà de la sécurité, le président américain a soumis ses souhaits de renforcer l’engagement économique des États-Unis envers l’Afrique. “Le commerce américain avec la région se concentre vers trois pays : l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Angola. Je veux que les Américains et les Africains fassent plus affaire ensemble, dans d’autres secteurs, dans d’autres pays ” a déclaré Obama, qui avait inauguré l’an dernier le U.S.-Africa Leaders Summit. Lui qui a également le mois dernier signé une extension de 10 ans pour la loi connue sous le nom "African Growth and Opportunity Act" (AGOA), qui vise à soutenir l’économie de pays africains en leur facilitant l’accès au marché américain s’ils suivent les principes de l’économie libérale.

Or dans la conquête des nouvelles opportunités économiques, la Chine fait de l’ombre à Washington sur le continent africain. Depuis 2009, Pékin a volé à Washington la médaille de meilleur partenaire économique. En 2014, le commerce américano-africain pesait 73 milliards de dollars contre 125 en 2012. Le Premier ministre Li Keqiang espère atteindre les 400 milliards de dollars d’ici 2020, soit le double comparé à aujourd’hui. Face à cette concurrence asiatique, Obama n’a pas hésité à lancer des piques : “les relations économiques, ça ne se résume à un pays qui construit des infrastructures en employant une main d’oeuvre étrangère ou en extrayant les ressources naturelles de l’Afrique. Un véritable partenariat économique doit être profitable à l’Afrique, créer des emplois pour les Africains. C’est ce type de partenariat que les États-Unis offrent à l’Afrique.”

Force de proposition, orateur talentueux auréolé de l’image du "frère" d’Outre-Atlantique, Barack Obama a su conquérir son public. Pour la première d’un président américain devant l’Union africaine, il était l’homme du consensus. Comme l’a souligné Nkosazana Dlamini-Zuma : “En vous élisant, les Américains ont montré leur foi en l’unicité de l’humanité, et qu’importe si votre père est africain et votre mère américaine, si votre père est musulman et votre mère, chrétienne... Ils ont regardé votre humanité, plutôt que les différences.”


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