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Maladie de Lyme : un fléau sous-estimé

lundi 8 décembre 2014

Le 19 novembre, Willy Burgdorfer s’éteignait à l’hôpital d’Hamilton, dans le Montana, à 89 ans. Ce scientifique a donné son nom à une bactérie, qu’il a identifiée en 1982, Borrelia burgdorferi (Bb). Cet agent pathogène transmis par les tiques est responsable de la borréliose de Lyme, caractérisée aux Etats-Unis dans les années 1970 dans la ville de Lyme (Connecticut). Extrême fatigue, douleurs articulaires, paralysie faciale, voire perte de l’usage des membres dans les cas les plus graves figurent dans le tableau clinique.

L’incidence de l’infection croît partout dans le monde. En France, elle toucherait plus de 35 000 personnes supplémentaires chaque année, selon un réseau sentinelle de médecins généralistes. Mais le nombre réel de cas pourrait être bien plus élevé – l’association de malades France Lyme évalue à 650 000 les cas chroniques en France. Car la maladie est au centre d’une vive controverse. Pour les uns, elle reste très peu connue des médecins, mal prise en charge, et son incidence est sous-estimée ; pour les autres, elle est diagnostiquée à tort et à travers en dehors des recommandations officielles.

Mais les lignes commencent à bouger. En 2012, la Direction générale de la santé a ainsi saisi le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) pour qu’il produise un état des connaissances actualisé sur la borréliose de Lyme. Le rapport, assorti d’un avis, publié le 4 décembre, dresse l’état des lieux d’une situation complexe et émet des recommandations, notamment pour améliorer les performances des outils diagnostiques actuels et la prise en charge. Par ailleurs, une résolution européenne a été adoptée mi-août, invitant la Commission européenne à engager des actions concernant la maladie de Lyme. Enfin, au mois d’octobre, une loi a été soumise par plus de 70 députés à l’Assemblée nationale, proposant notamment qu’un plan national soit mis en œuvre de 2015 à 2020.

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Pour comprendre le débat enflammé qui entoure la maladie de Lyme, il faut d’abord parler de son diagnostic. La borréliose de Lyme présente trois phases cliniques. Dans la première, où l’infection est locale, on observe une éruption cutanée circulaire appelée érythème migrant (EM), qui n’est cependant pas systématique et peut aussi ne pas être remarquée par le patient, qui ne garde pas toujours le souvenir de s’être fait mordre par une tique. Au second stade (au bout de 1 à 6 mois) les atteintes se multiplient : articulaires, neurologiques, cardiaques, cutanées, oculaires, musculaires, hépatiques. Enfin, durant la phase tertiaire (après plusieurs années), les manifestations sont neurologiques, articulaires et cutanées. « La maladie de Lyme peut donner tout et n’importe quoi, concède le professeur Christian Perronne, mais cela ne veut pas dire que tout est une maladie de Lyme. » Chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, ce médecin est devenu une référence dans le domaine. En plus d’être très nombreux, les symptômes ne sont pas spécifiques à la maladie. Ce n’est pas un hasard si la borréliose de Lyme a emprunté à la syphilis le surnom de « grande imitatrice ».

Il existe cependant des tests d’aide au diagnostic et de détection sérologique, c’est-à-dire des méthodes indirectes cherchant la présence d’anticorps spécifiques présents en réponse à la maladie – les méthodes directes recherchant la présence de la bactérie elle-même. La marche à suivre est dictée par un texte de la conférence de consensus en thérapeutique anti-infectieuse sur la borréliose de Lyme, publié en 2006.

Lire aussi : Maladie de Lyme : la transmission par la tique

Il faut commencer par un test de type Elisa. Mais il est nettement moins performant pour la borréliose de Lyme que pour le VIH, par exemple. Ainsi, si le résultat de l’Elisa est positif ou équivoque, il faut le confirmer avec un second test, le western blot (WB). Malheureusement, « les indications des tests sont parfois mal posées » par des médecins peu au fait de la maladie, estime le professeur Benoît Jaulhac, responsable du Centre national de référence (CNR) des Borrelia, à Strasbourg. Ils concluent en s’appuyant principalement sur les résultats sérologiques, peu fiables si l’on est à un stade initial de la maladie. Pourtant, « le diagnostic repose avant tout sur une détection clinique de la maladie et la biologie n’est là que comme une aide », appuie Philippe Boullenger, chef de produits chez Siemens Healthcare Diagnostics, qui met au point des tests Elisa.

Les performances sont variables selon les tests. « Cela peut créer des disparités de choisir tel ou tel fournisseur, notamment en termes de spécificité », reconnaît Benoît Jaulhac. Le CNR, sous la houlette de l’Institut national de veille sanitaire, est chargé de l’évaluation des tests biologiques. Les laboratoires d’analyses médicales, de leur côté, les évaluent avant de les utiliser. « Nous avons un dialogue avec les prescripteurs, et si le kit ne corrèle pas avec les situations cliniques nous ne les utilisons plus », détaille Sylvie Gonzalo, pharmacienne biologiste au laboratoire d’analyses médicales spécialisé Biomnis. De son propre aveu, « certains des kits étaient réellement médiocres en Lyme ».

Certains vont plus loin et affirment que les tests ne sont tout simplement pas assez performants pour apporter une véritable aide, et ce, quel que soit le stade de la maladie. Viviane Schaller en fait partie. Cette biologiste strasbourgeoise, auparavant à la tête d’un laboratoire d’analyses biologiques, a été condamnée le 13 novembre pour « escroquerie » et « exercice illégal de la pharmacie ». Elle devra rembourser 280 000 euros à la Caisse primaire d’assurance-maladie. Elle avait été mise en examen pour avoir notamment pratiqué systématiquement des WB, Elisa positif ou non, s’étant rendu compte « que les résultats ne collaient pas du tout entre Elisa et WB ». Ardemment soutenue par les patients et associations de patients, qui voient en elle une « lanceuse d’alerte », elle a fait appel de son jugement.

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Viviane Schaller avait entamé son combat en 2007, au lendemain de la signature de la conférence de consensus. Entre 2007 et 2012, l’activité de son laboratoire a explosé. « Je réalisais un tiers des sérologies en France en 2011 », indique la biologiste, dont le laboratoire a été fermé et qui ne décolère pas. « Lorsqu’une sérologie apparaît négative, on dit que le patient n’a pas la maladie de Lyme. Mais la clinique doit parler à la place de cette technologie, qui n’est pas fiable », martèle-t-elle. Elle soulève la question des souches qui sont utilisées dans les tests de détection de la maladie. En effet, la borréliose de Lyme peut être induite par plusieurs espèces de bactéries Borrelia : burgdorferi, mais aussi afzelii, garinii… Or, tous les tests ne détectent pas les différentes souches.

De surcroît, une « petite nouvelle » a fait récemment parler d’elle : Borrelia miyamotoi. « Elle a été décrite au Japon, explique Muriel Vayssier-Taussat, directrice de recherche à l’Institut national de recherche agronomique (INRA), qui travaille sur les agents pathogènes transmis par les tiques. On pensait initialement que c’était une bactérie propre à la tique. » Puis, l’espèce miyamotoi a été retrouvée dans des épidémies aux Etats-Unis, en Russie, dans l’est de l’Europe, aux Pays-Bas, mais pas en France, où elle n’est jamais recherchée chez l’homme – alors qu’elle a été retrouvée chez des tiques. Borrelia miyamotoi induit soit une maladie identique à la maladie de Lyme, soit une autre pathologie, les fièvres récurrentes. Aucun test ne la détecte aujourd’hui.

Analyses animales

Les médecins sont nombreux à ne plus se ranger du tout aux résultats des tests, comme le professeur Perronne, qui « ne regarde plus la sérologie ». Désespérés, certains patients, convaincus d’être malades mais dont les tests sérologiques sont négatifs, cherchent d’autres moyens, à l’image de Romain Juen. Ce jeune homme de 29 ans a fini par réussir à observer dans son sang, au moyen d’un microscope, des borrélies vivantes.

Pourtant, il existe une source de connaissances accessible et peu exploitée sur la maladie de Lyme en médecine vétérinaire, bien mieux armée face à la maladie. D’ailleurs, certains médecins n’ont pas attendu pour aller voir du côté des laboratoires d’analyses animales pour effectuer des tests de détection. Mais globalement, le dialogue entre santé animale et santé humaine est loin d’être systématique. Pour parfaire le tout, la tique excelle malheureusement dans son rôle de vecteur et ne disperse que trop bien la maladie. Majoritairement présent dans les bois et les pâtures, l’acarien a conduit à une disparité régionale de l’incidence de la maladie. Historiquement, l’est de la France, notamment l’Alsace, est très touché par la maladie, et les professionnels de santé y ont donc davantage été sensibilisés au problème. Dans d’autres régions, le diagnostic d’une maladie de Lyme reste souvent écarté avec de mauvais arguments. Or, « les tiques vecteurs de la bactérie se trouvent partout en France, sauf dans le pourtour méditerranéen ou en altitude, précise Muriel Vayssier-Taussat. En outre, nous nous apercevons que les tiques sont de plus en plus décrites dans les parcs ou dans les villes ». Elle envisage une étude dans le bois de Vincennes qui devrait voir le jour à l’horizon 2015-2016.

Estimations

France 35 369 nouveaux cas par an en moyenne, selon le Bilan annuel 2013 du réseau Sentinelles.

Europe Entre 65 000 et 85 000 cas par an en moyenne, avec d’importantes variations régionales, selon un rapport du Haut conseil de la santé publique sur la borréliose de Lyme datant de mars 2014.

Etats-Unis 300 000 nouveaux cas par an, selon les Centers for Disease Control and Prevention américains, en août 2013, soit 10 fois plus que les estimations précédentes.

De leur côté, les associations de patients dénoncent un déni de la maladie et l’errance diagnostique. Le professeur Perronne se souvient du patient qui a déclenché son intérêt profond pour la maladie. « C’était un monsieur qui errait depuis plus de dix ans dans le système de soins. Il avait vu 80 médecins, 10 psychiatres, et était fatigué, avait des douleurs partout, des troubles cognitifs, assortis d’une sérologie de Lyme négative. Personne ne le croyait. Je lui ai fait un traitement d’épreuve. Au bout d’un mois, il était ressuscité. Petit à petit, j’ai alors découvert, à travers les associations de patients, un monde de personnes vivant dans la clandestinité qu’on prenait pour des fous », raconte-t-il.

« Nous sommes considérés comme une association de charlatans, une secte », lâche Judith Albertat, présidente de Lyme sans frontières, qui compte un millier d’adhérents. Ancienne pilote de ligne, elle est à l’origine de la création de l’association, en mars 2012. Elle-même malade, s’étant heurtée à l’incompréhension et au rejet des médecins, son objectif était alors d’interpeller les présidentiables sur le sujet. Aujourd’hui, elle travaille – bénévolement – pour l’association, mais commence à être fatiguée de cet investissement sans relâche. C’est pourtant grâce aux associations de patients que le ministère de la santé a fini par réagir.

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Car la polémique concerne aussi sur la façon de traiter les patients. Toujours selon la conférence de consensus, la prise en charge recommande, dans la phase primaire, l’administration d’antibiotiques pour une durée de vingt et un jours au maximum. Dans les stades secondaire et tertiaire, le traitement indiqué est toujours l’antibiothérapie, pour une durée de vingt-huit jours, sans renouvellement du traitement. Mais des médecins observent qu’à ces stades les patients sont loin d’être systématiquement guéris avec une administration unique d’antibiotiques. Dans leur pratique, ils constatent qu’il peut être profitable de renouveler le traitement antibiotique. « Beaucoup de médecins généralistes travaillent en contradiction avec la conférence de consensus, relève Sophie Dubé, responsable de la section Orne de l’association France Lyme. Nous avons besoin d’eux, qui prescrivent des antibiotiques en dehors du protocole reconnu. »

« Dans certains pays, ils font des traitements intermittents, c’est à la carte », indique le professeur Perronne. D’autres cherchent du côté des médecines douces, comme le Tic Tox, commercialisé hors du cadre réglementaire, dont la production a été suspendue par l’Agence du médicament et dont le fabriquant a été condamné dans le même procès que Viviane Schaller. De son côté, l’Américan Richard Horowitz, auteur d’une bible sur le sujet, Soigner Lyme et les maladies chroniques inexpliquées (Thierry Souccar éditions), indique quant à lui ne pas utiliser « seulement l’antibiothérapie, mais aussi la phytothérapie ». Cela fonctionnerait pour « 70 % à 75 % de [ses] patients ».

Symptômes résiduels

Pour nombre de patients, la chronicité de la maladie ne fait pas de doute. Daniel Christmann, professeur de pathologies infectieuses et tropicales au CHU de Strasbourg, explique, lui, que la grande fatigue, les douleurs musculaires, les troubles de la mémoire ou la difficulté de concentration que l’on peut observer chez les patients qui ont été traités seraient en quelque sorte des symptômes résiduels de la maladie. Il explique que « la maladie de Lyme correctement traitée n’évolue pas vers la chronicité » et que « l’antibiothérapie itérative est inutile ». Mais il parle également de co-infections, sujet émergent sur lequel s’accordent bien des professionnels de santé.

Car les tiques sont multi-infectées, véhiculant jusqu’à sept agents pathogènes, explique Muriel Vayssier-Taussat. Prudence cependant, « ce n’est pas parce qu’une tique est porteuse d’un agent pathogène qu’elle va transmettre [la maladie] ou qu’elle en est capable », précise-t-elle. Mais lorsque les symptômes persistent, il faudrait s’assurer qu’une autre infection n’est pas en jeu, comme l’anaplasmose ou la bartonellose, cite le professeur Christmann. Dans une publication à paraître, ce dernier a relevé la possibilité de ces co-infections, qui doivent être prises en compte pour le traitement mais dont la fréquence reste faible. Cette thèse des co-infections est ardemment défendue par le docteur Horowitz. En plus de l’anaplasmose ou de la bartonellose, il y a de nombreux autres groupes de maladies transmises par les tiques : ehrlichiose, brucellose, babésiose… Selon lui, « plus de 80 % des personnes sont infectées conjointement par la maladie de Lyme et par Babesia [parasite qui provoque la babésiose] ». « Ce sont des pathogènes que les médecins n’ont pas l’habitude de croiser, tandis que cela fait partie de notre pratique depuis des années », rapporte Denis Fritz, vétérinaire, qui dirige un laboratoire d’analyses vétérinaires.

Pour l’heure, on ne peut donner aucun chiffre pour évaluer le nombre de patients qui restent sur le bord de la route. Le rapport du HCSP conclut en ce sens : « Il paraît clair qu’il existe un nombre important de patients souffrant de symptômes chroniques et invalidants étiquetés “maladie de Lyme” sans certitude, du fait de la négativité des tests biologiques ou de la persistance des anticorps (…). Certains, probablement, pourraient être ceux d’une maladie de Lyme échappant à des tests biologiques imparfaits. Mais on peut penser aussi qu’un grand nombre de ces patients pourrait souffrir d’une infection liée à d’autres micro-organismes portés par des tiques et transmis par ceux-ci à l’occasion d’une morsure de tique. » Dans une étude à paraître, Muriel Vayssier-Taussat a découvert, en analysant des tiques, que parmi les pathogènes qu’elles véhiculaient, la moitié des bactéries étaient inconnues, tout comme la moitié des parasites et 80 % des virus… « Les tiques sont un monde encore peu exploré », conclut-elle.

L’aide des labos vétérinaires

Las de ne pas avoir à leur disposition des tests suffisamment fiables, certains médecins se sont tournés vers les laboratoires vétérinaires pour effectuer des analyses. Cela a été le cas pour le docteur Denis Fritz, à la tête d’un laboratoire à Troyes. Depuis l’année 2000, son équipe réalise la recherche des pathogènes transmis par les morsures de tiques et pratique des analyses de biologie moléculaire appelées PCR. Cette méthode d’amplification de l’ADN et de l’ARN est, au contraire de l’Elisa ou du WB, recommandées dans la borréliose de Lyme, une méthode dite directe ; en d’autres termes, elle repère l’agent bactérien lui-même. La PCR est employée par certains laboratoires vétérinaires, tandis qu’en médecine humaine seuls quelques-uns réalisent de telles analyses, notamment des centres hospitaliers universitaires. Du coup, « depuis quelques mois, des médecins font la démarche de nous demander une PCR lorsqu’ils sont face à des signes cliniques compliqués. Cela reste toutefois une activité très anecdotique », précise Denis Fritz. Un laboratoire de santé animale n’est en effet pas censé faire des analyses en santé humaine. Sur les comptes rendus des analyses, le laboratoire indique ainsi entre autres que « ces tests sont mis au point et validés dans le cadre de la médecine vétérinaire ».

Raphaëlle Maruchitch

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