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Le Premier ministre haïtien : un souffre-douleur entre les mains du président de la République et du Parlement

jeudi 24 mars 2016

Alors que le pays en entier retient son souffle avant que le Parlement ne donne son onction au nouveau Premier ministre nommé par le président de la République, le précédent choix de ce dernier, en la personne de Fritz Jean ayant reçu une fin de non-recevoir de la part de la Chambre basse, la Chaire Louis-Joseph Janvier sur le constitutionnalisme en Haïti de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Quisqueya a jugé le moment opportun pour tenir, le mardi 22 mars 2016, une conférence-débat sur le thème « Constitution et gouvernance ». Ainsi, le professeur et juriste Monferrier Dorval, un des panélistes invités par la Chaire, est intervenu sur les difficultés récurrentes de choix et de fonctionnement du Premier ministre.

« La Constitution de 1987 est un élément fondamental dans la crise de gouvernance de l’État. Le choix du Premier ministre crée toujours une situation de tension dans le pays », attaque d’entrée de jeu Monferrier Dorval, qui asseoit son argumentaire sur les entraves à la mise en place du Premier ministre ainsi que sur les difficultés de son fonctionnement. Le temps pour mettre en place un Premier ministre, déplore le juriste, affecte gravement la situation sécuritaire, économique et sociale du pays.

De plus, ce dernier considère le Premier ministre comme étant un souffre-douleur tant au niveau du choix par le président de la République qu’au niveau de ses rapports avec le président de la République et le Parlement. Aussi choisit-il, tout au long de sa présentation, de n’omettre aucun détail des pérégrinations de ce haut dignitaire dont on se méprend si souvent sur son compte.

Un Premier ministre, dans l’imaginaire collectif, regorge de pouvoirs mais, au fur et à mesure que Monferrier Dorval argumente, on s’aperçoit, en fait, qu’on est loin du compte. En réalité, le Premier ministre, dans la majorité des cas, est un géant aux pieds d’argile, pris en tenailles entre le président de la République, avec qui il entretient des rapports empreints toujours d’une certaine méfiance, d’une certaine tension, et le Parlement sur qui il ne dispose d’aucun moyen de pression.

Mais, tout d’abord, la fonction du Premier ministre, selon Monferrier Dorval, est une construction historique récente puisque c’est la Constitution de 1983, révisée partiellement en 1985, et qui a été renversée par le soulèvement populaire ayant conduit à la chute des Duvalier, qui avait prévu, pour la première fois, un Premier ministre.

« Mais le Premier ministre prévu par la Constitution [de 1983] était un pur exécutant, il n’était pas un chef de gouvernement. Le président cumulait à l’époque les fonctions de chef de l’État et de chef de gouvernement », déclare Monferrier Dorval.

Il a fallu attendre la Constitution de 1987 pour que la tradition du monocéphalisme du pouvoir exécutif soit rompue. Cette Constitution a eu le mérite d’instaurer un exécutif bicéphale : un chef de l’État et un gouvernement dirigé par un Premier ministre. Mais elle a eu aussi le mérite d’instaurer, au plus haut sommet de l’État, cette source de confusion, de tension dans laquelle le pays patauge encore.

Donc, pour Monferrier Dorval, il apparaît, à partir de ce moment-là, des éléments de blocage aussi constitutionnels que factuels influant négativement sur la gouvernance de l’État et créent une situation de crise permanente nuisible à la gouvernance du pays.

Parmi ces éléments de blocage, citons tout d’abord la procédure appliquée en dents de scie prévue par la Constitution initiale de 1987 avant l’amendement. En premier lieu, le président de la République doit choisir le Premier ministre dans le parti ayant la majorité au Parlement, c’est-à-dire dans les deux chambres, car le Parlement redevient bicaméral avec la Constitution de 1987. « Mais de quel type de majorité s’agit-il ? », s’interroge le professeur, qui n’est pas parvenu à lever ce flou.

En outre, il relève une quasi-ineffectivité de cette règle générale dans la Constitution. Le Premier ministre doit sortir dans le parti ayant la majorité au Parlement ; or, il est difficile pour un parti d’avoir la majorité absolue dans les deux chambres au Parlement.

Pour éviter de tourner en rond, la Constitution prévoit une procédure exceptionnelle qui est la consultation. « On recourt toujours à la consultation, mais la consultation n’est pas bien interprétée. On ne sait pas ce que c’est », déclare Monferrier Dorval soulignant au passage que même si la consultation est appliquée de manière prédominante, en cas de désaccord entre le président de la République et les deux présidents des chambres sur le choix du Premier ministre, le président de la République n’est pas lié par l’avis de la consultation.

« Mais encore faut-il qu’il s’assure, précise-t-il, au préalable d’une majorité capable de voter la confiance au Premier ministre. »

Une fois ratifié, le Premier ministre doit former son gouvernement, en accord avec le président de la République. Mais Monferrier Dorval dénonce les dérives de cette formation du cabinet ministériel qui, selon ses lunettes, est informelle. Le Premier ministre qui est ratifié, selon lui, n’est pas nommé, donc il est « incompétent ratione temporis » pour former le gouvernement puisqu’il n’est pas investi de la fonction.

« Un Premier ministre nommé qui n’est pas investi ne peut poser aucun acte », martèle-t-il à l’attention du public composé majoritairement d’étudiants mais aussi de quelques figures de la classe politique dont quelques candidats malheureux au poste de Premier ministre comme Bernard Gousse, un de ses copanélistes, ainsi que Mirlande Manigat et Edgard Leblanc. Le nom de ces derniers se trouvait, ces derniers jours, sur la short-list des premiers ministrables.

Avec l’amendement, une pratique contra legem a été établie. Donc, le Premier ministre n’est plus ratifié, il est nommé. « Quand on vous investit dans une fonction, on vous met en charge et l’installation c’est le matériel de la nomination », affirme Monferrier Dorval faisant référence à la prétendue investiture sans installation de Fritz Jean par le président Privert.

Les vicissitudes du fonctionnement du Premier ministre

Pour Monferrier Dorval, un Premier ministre, au regard de la Constitution, est l’exécuteur de la politique du président de la République. En fait, c’est le président qui gouverne alors qu’il n’est pas le chef du gouvernement. « C’est lui qui a été élu, c’est lui qui a mené campagne », argue-t-il comme pour justifier ce fait.

Le Premier ministre, la plupart du temps, fonctionne sans une majorité au Parlement même s’il essaie, bon gré mal gré, de constituer cette majorité. Le Premier ministre ne peut pas fonctionner sans une majorité à sa disposition. Il n’est pas antidémocratique, il n’est pas anormal, selon le juriste, qu’il y ait des parlementaires qui soutiennent le gouvernement.

« Or, les gens ne veulent pas qu’il y ait une majorité. On critique la majorité qui soutient le gouvernement », se désole Monferrier Dorval, qui dit constater qu’on est dans un système qu’on ne comprend pas. Ainsi préconise-t-il que le régime politique soit pris en compte dans la solution à apporter aux problèmes d’Haïti. Séance tenante. Sans qu’on traîne les pieds. « Il est extrêmement urgent d’agir ! », a-t-il lancé au moment de refermer son intervention. Patrick StPRE Le Nouvelliste


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