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Le charbon de bois interdit à grande échelle, pour peu de résultats

lundi 1er septembre 2014

Alarmé par le péril écologique que court la Grand’Anse, privée abusivement de ses arbres transformés en charbon de bois, ou destinés à la construction ou à alimenter les blanchisseries, le gouvernement, en mai 2014, a décidé d’interdire formellement l’exploitation du charbon de bois, de planches et de bois dur. Avec peu de moyens, des saisies sporadiques sont effectuées et des sacs de charbon s’entassent sur la cour du commissariat de Jérémie. Mais, dans la pratique, le problème, pris dans ses dimensions socio-économiques, reste entier.

Voyageant fréquemment sur la route nationale no7, Jérémie-Cayes, débouchant sur la nationale no 2, vers Port-au-Prince, ce jeune Grand’anselais a pris l’habitude de photographier sur son trajet les images insolites exposées à sa vue pour les partager sur le web. La dernière, mise en ligne, confirme le scepticisme affiché par certains en apprenant cette mesure de prévention prise, au deuxième trimestre 2014, à grand renfort de publicité, par le Conseil supérieur de la PNH, d’interdire dans la Grand’Anse, sous peine de sanctions, l’exploitation à grande échelle du charbon de bois et son transport vers les autres régions du pays.

L’image paraît pour le moins étonnante. Un camion transporte une cargaison considérable de charbon de bois sur laquelle, négligemment, au péril même de leurs vies, s’exposent des passagers, dans l’indifférence totale d’un policier, occupé plutôt à donner une contravention au conducteur venant derrière !

Cette cargaison, venant de la Grand’Anse, a pourtant emprunté la route passant alternativement devant les sous-commissariats de Carrefour-Bac (Jérémie), Roseaux, Duchity, Beaumont, Camp-Perrin, Carrefour Quatre-Chemins (Cayes), Cavaillon…

Satisfaction mitigée des autorités régionales

« Nous faisons le travail avec les moyens du bord et un effectif assez limité », avoue au journal le directeur départemental de la Police nationale dans la Grand’Anse, Michelange Jean Noël. Certes, des cargaisons, à la faveur de la nuit ou camouflées en sacs de marchandises, devine-t-il, arrivent à franchir les mailles du filet tendu entre Carrefour-Bac et Beaumont ; d’autres empruntent la voie maritime sur des voiliers. N’empêche que des saisies régulières sont effectuées, reconnaît-il. »

En effet, une centaine de sacs de charbon déchirés sont jetés au pied d’un palmiste dans la cour du commissariat de Jérémie. Mais les individus appréhendés pour refus d’obéissance ne sont pas gardés, confie le directeur, reconnaissant que la mesure conjointe d’interdiction adoptée par les institutions départementales concernées, et renforcée par le gouvernement, quoique ayant diminué le phénomène, n’a pas cependant force de loi. Il attend donc de la Primature et du ministère de l’Environnement le renfort promis sous forme d’envoi de nouveaux agents spécialisés.

L’agent exécutif intérimaire de la commune de Jérémie, Ronald Etienne, croit lui aussi, malgré les faiblesses dans l’application de la mesure, à une baisse de fréquence des camions transportant le bois et le charbon sur le trajet Cayes-Jérémie. Point de vue partagé par le vice-délégué départemental, Lens Schiller Torchon, qui fait écho au directeur départemental de la PNH quant à l’impossibilité d’instaurer une permanence dans la vigilance, vu l’effectif limité de la police dans la région.

Mais, interrogés sur les mesures d’accompagnement envisagées, les alternatives proposées et les impacts socioéconomiques de la décision gouvernementale d’interdire la production du charbon de bois, ces responsables régionaux demeurent incertains. M. Torchon confesse qu’aucune compensation n’est envisagée à court terme, sinon que la mesure concerne surtout les grossistes venant des autres régions du pays qui placent les commandes pour vider la Grand’Anse de sa couverture végétale. Pour lui, le charbon qui y est donc produit ne quitte pas la région, et les cargaisons saisies sont redistribuées à la prison et aux orphelinats.

M. Ronald Etienne, pour sa part, suggère d’amener la capitale, les demandes venant surtout de là, à changer de type de combustible et d’y associer un travail d’éducation civique. Ce qui aurait pour effet de diminuer considérablement l’offre.

Destructeur, le charbon est vital !

« Depuis mes grands-parents jusqu’à l’âge adulte, je vis de la production du charbon de bois », confie le quadragénaire Jean Yvitte Beauzier, estimant la mesure adoptée par le gouvernement inappropriée à la réalité locale. « Je ne saurais donc bien l’accueillir, continue-t-il, car l’État n’a mis en place aucune structure pour aider les familles, comme la mienne, pour qui le charbon constitue l’unique source de revenus. »

« Pour preuve, argue-t-il, le charbon m’aide à entretenir ma maison, à prendre soin de ma famille, et avec la rentrée des classes, c’est l’unique moyen pour envoyer mes enfants à l’école. » Aussi, n’envisageant même pas la protection de son habitat, notre interlocuteur soutient que « l’État veut affamer les charbonniers, des paysans et des non fonctionnaires ». À noter, selon le dernier recensement général de la population (RGPH), plus de trois quarts de la population du département, soit près de 78 %, vivent en milieu rural, dans des conditions d’extrême pauvreté.

Selon certains observateurs, le gouvernement, qui a erré de bonne foi en adoptant sa mesure sans proposer des alternatives, semble l’avoir perdu de vue. Parmi ces options, Gérald Guillaume, coordonnateur de Jeunesse Action pour le Développement (JAD), propose la revalorisation du secteur agricole. Il invite les responsables d’État à envisager des prêts, une banque agricole et à fournir des intrants aux agriculteurs, en somme de l’encadrement, pour inviter les paysans au retour à la culture de la terre.

Yvon Janvier-jyvon21@gmail.com


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