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L’île mystérieuse d’un satellite de Saturne

jeudi 26 juin 2014

Les astronomes qui l’ont découverte l’ont facétieusement surnommée l’"île magique". Pour une raison simple : une fois elle est là, une fois elle n’est plus là... Nous sommes sur Titan, le plus grand des 62 satellites répertoriés de Saturne. Un monde qui n’est pas sans présenter d’étranges ressemblances avec la Terre. On y trouve du relief, des dunes, une atmosphère dense, des pluies et de grands lacs balayés par les vents. Précisons tout de même que l’atmosphère est irrespirable pour nous, composée d’azote et de méthane, et que, étant donné la température moyenne qui règne à la surface de cette lune saturnienne (- 179°C), les lacs en question sont remplis non pas d’eau mais d’hydrocarbures, de méthane et d’éthane liquides.

C’est sur Ligeia Mare (en photo ci-contre), la deuxième plus grande étendue liquide de Titan, qu’une équipe internationale de chercheurs a découvert cette "île" aussi fugace que mystérieuse, ainsi qu’ils le rapportent dans une étude publiée ce dimanche 22 juin par Nature Geoscience. Ces astronomes travaillent sur les images prises par la sonde américaine Cassini, qui va fêter le 1er juillet ses dix ans de promenades scientifiques autour de Saturne, de ses satellites et de ses anneaux. Le 10 juillet 2013, Cassini a envoyé des données enregistrées par son radar au-dessus de Titan. Les chercheurs les ont transformées en une image et ont ensuite voulu comparer cette dernière avec des images de la même région prises par la sonde au cours des années précédentes. Pour ce faire, pas besoin de technologie de pointe. Ainsi que l’explique le premier auteur de l’étude, Jason Hofgartner (département d’astronomie de l’université Cornell, Etats-Unis), on a recours à une bonne vieille méthode artisanale, qui a fait ses preuves dans la recherche de comètes ou d’astéroïdes sur les clichés astronomiques : le feuilletage. On met deux clichés (ou plus) l’un sur l’autre et on les fait défiler sous ses yeux : "Lors du feuilletage, l’œil humain est plutôt bon pour détecter les changements", constate Jason Hofgartner...

Sur ce coin de Ligeia Mare, il n’y avait rien en février 2007, rien en avril de la même année, rien en décembre 2009. Mais quelque chose d’assez grand (d’environ 20 kilomètres de long) est apparu ce 10 juillet 2013. Seize jours plus tard, Cassini envoie une nouvelle image de la zone, sur laquelle l’île mystérieuse a... disparu. D’autres clichés pris en septembre et octobre 2013 ne montreront rien non plus. Le premier réflexe des astronomes est de penser à un problème dans les signaux reçus, ce qui n’est pas rare dans les données radar. Toutefois, après analyse, il leur faut bien se rendre à l’évidence : il ne s’agit pas d’un faux positif. Ce que l’instrument a détecté semble bel et bien réel. Mais que peut être cette "caractéristique passagère", pour reprendre les termes de l’étude ?

D’une certaine manière, nos astronomes se mettent à jouer au même jeu que celui auquel se livrent les décrypteurs d’images issues des rives du Loch Ness... Ils commencent par exclure l’hypothèse d’une île jaillie des flots à la suite d’une sorte de cryovolcanisme : celle-ci aurait eu une durée de vie plus longue. Ils oublient aussi l’idée, pas sotte a priori, d’une structure à fleur de surface qui aurait été découverte à l’occasion d’une marée basse. Les possibilités restantes, au nombre de quatre, s’appuient sur le fait qu’un changement de saison est à l’œuvre à la surface de Titan. Un changement lent. Le système saturnien mettant près de trente ans à effectuer une révolution autour du Soleil, les saisons n’y passent pas vite. Le printemps dans l’hémisphère nord de Titan, là où se trouve Ligeia Mare, a commencé en août 2009 et le solstice d’été interviendra en mai 2017. Les chercheurs pensent cependant que ce petit et lent réchauffement peut avoir une influence sur ce que Cassini détecte, tout comme un satellite artificiel en orbite, même lointaine, autour de la Terre, y verrait par exemple la banquise arctique se rétracter à l’approche de l’été.

Les quatre hypothèses pouvant expliquer la présence de cette "île" mystérieuse sont les suivantes. Première idée, celle d’un changement du régime des vents dans l’hémisphère nord de Titan à l’approche de l’été : avec des vents plus vifs, le lac de méthane se creuse par endroits et ce que le radar de Cassini a repéré ne serait rien d’autre qu’une zone agitée par... des vagues. Deuxième possibilité évoquée par l’étude : sous l’effet de l’augmentation de la température, des gaz piégés au fond de Ligeia Mare remonteraient à la surface dans un bouillonnement de bulles. Troisième scénario : les perturbations climatiques feraient remonter à la surface des solides en suspension dans le méthane et l’éthane liquides, formant une sorte de vase. La quatrième et dernière hypothèse fait penser aux débâcles de banquise terrestres et Cassini aurait ainsi vu des glaces flottantes comme sur la vue d’artiste ci-dessus.

Où que se cache la vérité, Jason Hofgartner est ravi de ces changements à la surface d’un lac de Titan : "Nous voulons voir les similarités et les différences avec les processus qui se produisent sur Terre. Au bout du compte, cela nous aidera à mieux comprendre nos propres environnements liquides."


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