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Il y a 40 ans, "Les Dents de la mer" terrorisait le monde

samedi 20 juin 2015

Le 20 juin 1975, le film réalisé par un quasi-inconnu devient un phénomène mondial. Retour sur un tournage épique qui a failli tourner au fiasco.

En 1974, Steven Spielberg a 27 ans, il cherche la bonne idée pour percer à Hollywood et entend parler d’un projet de film autour du best-seller du moment, Les Dents de la mer de Peter Benchley, qui prend la tête des ventes en Californie. La légende veut que le jeune réalisateur chipe un vague scénario qui traîne sur le bureau de la production : l’histoire lui plaît et il finit par hériter du projet, encore très mal ficelé.

Qu’à cela ne tienne, il reprend tout, simplifie le drame autour d’un duel entre le bien et le mal, un grand prédateur, le requin blanc, et des hommes bien décidés à traquer le monstre. On budgète deux millions de dollars et on prévoit un tournage sur un bon mois en pensant que tout cela fera un film efficace pour Noël. Il faut faire vite : une grande grève des acteurs est annoncée pour fin juin, on doit donc tout boucler avant la date fatidique...

Mais rien ne va se passer comme prévu. Spielberg décide de tourner en milieu naturel, en pleine mer, pour éviter le côté artificiel. Une idée louable mais compliquée à réaliser : il faut compter avec les vagues, les lumières changeantes et les caprices de la météo... Impossible d’enchaîner les prises de vue à un rythme régulier. Pour ne rien arranger, l’équipe s’est installée à Martha’s Vineyard, sur la côte est, mais les régates au large empêchent de tourner les séquences, et voilà le cinéaste forcé d’attendre que les dernières voiles quittent l’horizon pour commencer les prises, autant de retards à prendre en compte.

Un requin qui coule puis rouille

Et le requin ? Les producteurs envisagent d’en capturer un pour les scènes rapprochées, Spielberg se marre –– le grand requin blanc est impossible à domestiquer. Il faut se résoudre à en construire plusieurs en polyuréthane, des maquettes de 1,5 t à 150 000 dollars pièce. Elles sont fixées au bout d’un traîneau sous-marin et nécessitent une bonne dizaine de personnes pour les animer
Sur le papier, tout fonctionne ; dans l’eau, c’est la Bérézina : la première fois qu’on l’utilise, le requin pique du nez dans un gargouillis de bulles avant de sombrer au fond de l’océan. Avec le temps, le mécanisme rouille, les mâchoires refusent de se fermer, le monstre tombe en morceaux, les techniciens le réparent, on lui donne un coup de pinceau pour le rafraîchir, on le bichonne au sèche-cheveux après avoir lavé le sel marin... en espérant que le public ne rigole pas en voyant sa bouche en plastique.

Très vite, Spielberg s’aperçoit qu’il doit faire autrement. Puisque le requin ne fonctionne pas, on s’en passera, on le verra le moins possible en jouant sur le suspense et une terreur diffuse, jusqu’à la scène finale où le squale attaque le bateau qui l’a pris en chasse. À défaut de monstre, on se contente de montrer l’aileron en l’associant à un thème musical répétitif, calqué sur celui des pulsations d’un cœur qui s’emballe, une bande-son qui deviendra culte.
attendant, il faut retoucher le scénario presque chaque soir jusqu’à minuit, après un plat de spaghettis et avant d’enchaîner les scènes du lendemain. Les acteurs découvrent parfois leur texte au dernier moment, le tournage s’allonge, tout devait être bouclé avant le 4 juillet, début de la haute saison, mais on se rend compte qu’il faudra rajouter un bon mois pour finir les séquences. Les techniciens râlent, il faut désormais compter avec les moustiques, qui rendent les prises de vue de plus en plus péniblesLe studio Universal panique : le budget grimpe inexorablement et dépasse désormais les quatre millions de dollars – il finira à neuf millions. Il faut dire que les commerçants de Martha’s Vineyard entendent profiter de l’aubaine. Les prix des chambres ont triplé, on loue des fortunes le moindre matériel de plongée, Spielberg doit envoyer les pellicules en Californie pour leur développement et attendre quarante-huit heures pour vérifier ses rushes. La production voit rouge et envisage d’arrêter les frais autour de ce naufrage annoncé. "J’étais comme fou, a raconté Spielberg, non pas à l’idée d’être remplacé, même si des gens essayaient de me virer, mais de laisser tomber les autres. Malgré mes 27 ans et l’impression d’être un vétéran, personne ne me considérait comme tel. J’en paraissais 17, j’avais de l’acné, rien qui puisse inspirer confiance à des équipes de tournage expérimentées. Partir en mer était un cauchemar, c’était comme travailler en plein séisme."

Le tournage se termine finalement le 15 septembre, avec cent jours de retard. Après quelques raccords sur la côte pacifique, et une prise de vue supplémentaire réalisée cette fois en piscine, le film peut enfin sortir, le 20 juin 1975. Les projections tests sont un succès, les studios flairent le gros succès, ils mettent plus de 400 copies dans tout le pays, une première qui annonce les futurs lancements des blockbusters d’été. Ce sera un phénomène mondial, imprévisible, historique. 470 millions de recettes au compteur qui feront de Spielberg un réalisateur désormais courtisé. "Mon prochain film sera tourné sur la terre ferme, sans même une séquence dans une salle de bain", jure le cinéaste une fois la dernière image dans la boîte. Ce sera Rencontres du troisième type, un film dont personne ne voulait jusqu’alors.


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