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Evans Paul fait le point sur la journée électorale -

mardi 11 août 2015

Les élections législatives se sont déroulées le dimanche 9 août sur tout le territoire, émaillées, ici et là, d’incidents et des fois d’actes de violence. On recense des morts et des blessés dont le décompte est encore en cours. Si aucune statistique n’existe encore sur le taux de participation, le Premier ministre a accepté de faire le point. Livraison de mandats aux partis politiques, format des bulletins de vote, qualité du matériel électoral, problème de transport le jour du scrutin, rôle des partenaires internationaux..., Evans Paul s’est confié dans une interview exclusive accordée au Nouvelliste. Le chef du gouvernement livre, sans langue de bois, ses impressions sur le premier tour des législatives.

]Le Premier ministre Evans Paul a reçu à la mi-journée de lundi Le Nouvelliste à son bureau à la Primature. La veille, le chef du gouvernement avait fait part de son « soulagement » après le scrutin émaillé d’irrégularités. Ce lundi, Evans Paul apporte plus de précisions. « Le soulagement est une façon d’exprimer une certaine satisfaction, explique le Premier ministre. Je voulais surtout éviter d’être triomphateur sans pour autant projeter l’image d’un défaitiste. C’est pourquoi j’ai dit que je ne suis ni content ni fâché. » Malgré diverses irrégularités enregistrées, le chef du gouvernement éprouve une certaine satisfaction le fait que la population ait pu enfin se rendre aux urnes après quatre années d’attente. Ce scrutin permettra selon lui de rendre fonctionnel le pouvoir législatif handicapé depuis le mois de janvier dernier. Toutefois, Evans Paul reconnaît qu’il n’y a pas eu d’engouement pour le premier tour des législatives. « Il y avait beaucoup plus d’engouement dans les villes de province qu’à Port-au-Prince », souligne le Premier ministre. Alors que le processus électoral était mis en branle depuis plusieurs mois, il n’y pas eu une grande campagne de sensibilisation pour inciter la population à se rendre aux urnes. Elle n’était pas non plus informée du format des bulletins de vote. « Je voulais remercier la communauté internationale pour leur support à l’organisation de ces élections, mais j’avais attiré leur attention à plusieurs reprises sur l’absence de campagne de sensibilisation, confie Evans Paul. Ce n’est pas normal qu’on organise des élections sans tenir compte de l’acteur principal qui est le peuple. » Et le Premier ministre de poursuivre : « C’est pour la première fois que la population n’était pas informée du format du bulletin. Personnellement, j’ai pris du temps pour reconnaître les candidats que je voulais voter. Ne parlons pas des personnes qui ne sont pas avisées, qui ne savent pas lire… » Le problème de transport a handicapé la population La veille du scrutin, la rumeur d’un couvre-feu a provoqué une sorte de peur à Port-au-Prince. Pour certains, les restrictions sur le transport en commun est l’un des facteurs du faible taux de participation à Port-au-Prince. Le Premier ministre partage ce point de vue. « La question du transport a fait l’objet d’un grand débat au Conseil supérieur de la police nationale (CSPN) », confie le Premier ministre. Selon Evans Paul, la question était d’abord d’interdire la circulation des motocyclettes. « Très souvent, dans un problème, on ne voit qu’un seul aspect, indique le Premier ministre. Par exemple, on voit que des gens utilisent les motocyclettes pour commettre des actes de criminalité. La réalité d’aujourd’hui est que beaucoup de personnes utilisent la motocyclette comme moyen de transport. » Evans Paul admet que l’interdiction des motocyclettes n’était pas la meilleure décision. « Quand on décide d’interdire la circulation des motocyclettes, on handicape la population, dit-il. Pour un petit groupe de bandits qui aurait pu semer le trouble, on a créé un grand problème. Et pas seulement pour les élections, il n’y a pas que le scrutin comme activité dans la société. Il y a des personnes qui avaient besoin d’aller à l’église, d’autres de se rendre d’urgence à l’hôpital. Dans le souci de sécuriser les élections, on a donc handicapé la circulation », a ajouté le Premier ministre. Au lieu d’avoir pris les mesures restrictives, il estime qu’il fallait de préférence augmenter le contrôle sur les transports en commun. Sur les images qui ont fait le tour des réseaux sociaux La journée électorale n’était pas émaillée que d’actes de violence. Outre les irrégularités, des électeurs s’asseyant à même le sol pour remplir leur devoir civique, des bureaux de vote en plein air sous le soleil, des isoloirs qui n’existent que de nom… les chasseurs d’images se sont régalés et des personnes se sont montrées choquées. Pour le chef du gouvernement, cela ne devrait pas choquer. « C’est un portrait, estime le Premier ministre. Cela traduit la précarité du pays. Les images peuvent paraître choquantes, mais c’est la réalité du pays. Un pays de contraste. Ce n’est pas normal que le pays projette de telles images, on pouvait mieux organiser les centres de vote. » Sur la qualité du matériel électoral Le PNUD, très impliqué dans ces élections, est tenu responsable de beaucoup d’irrégularités enregistrées dans le scrutin. Le conseiller électoral Néhémy Joseph le dit clairement. De son côté, le Premier ministre se la joue diplomate sur la question de la qualité du matériel électoral. « En ce qui a trait à la qualité du matériel, je pense que l’Etat haïtien doit faire très attention, indique le Premier ministre. D’une part, l’Etat haïtien est contributaire à 50% du fonds fiduciaire ; d’autre part, les élections sont organisées pour les Haïtiens. L’Etat haïtien doit au moins avoir un regard sur l’administration des élections. Menm lè w ap bay yon moun, gen yon respè w dwe gen pou li », ajoute Evans Paul. En ce qui a trait à l’impression des bulletins de vote à Dubai, le Premier ministre déplore que les imprimeries haïtiennes n’aient pas été prises en compte. « Je pense qu’Haïti est un pays pauvre mais la pauvreté est relative, déclare Evans Paul. Si l’on parle de compétition sur le plan affaires, on ne peut pas exclure Haïti. Il y a des imprimeries en Haïti, mais elles n’auraient eu aucune chance de gagner l’appel d’offres tellement les exigences étaient élevées… Les appels d’offres ont été faits de façon à exclure les imprimeries haïtiennes, et ce n’est pas normal », croit le Premier ministre. « Il faut décentraliser les mandats des partis politiques » Par ailleurs, le Premier ministre s’est exprimé sur la livraison des mandats aux partis politiques. Pour ne les avoir pas livrés à temps, cela a provoqué des incidents un peu partout à travers le pays. « Le fait de centraliser les mandats à Port-au-Prince est une mauvaise chose, estime le Premier ministre. J’ai été toujours pour la décentralisation. C’est ainsi que ça se faisait avant… » Le PM déplore les violences et l’attitude de certains policiers Concernant les actes de violences, pour Evans Paul, ce n’est pas normal. « Même si les 3 à 5 % des centres de vote éliminés peuvent paraître minimes, ce n’est pas normal, surtout par la manière, soutient le Premier ministre. J’ai appris dans certains endroits que ce sont seulement deux personnes qui ont pu semer le trouble sous le regard passif de policiers. Pourquoi les policiers ont-ils eu une telle attitude ? », se demande celui qui est pourtant chef du CSPN. « J’ai éprouvé aussi une certaine tristesse devant le fait d’enregistrer au moins un mort, indique Evans Paul. J’ai vu l’image d’un homme lynché, c’est triste. Pourquoi au cours d’une élection, qui doit être un exercice essentiellement pacifique, on enregistre des morts et des blessés ? Cela traduit l’image d’une société qui a des problèmes assez graves (…) », poursuit le chef du gouvernement, soulignant que les actes de violence étaient enregistrés dans les zones déclarées « vertes ». Là où il y avait moins de forces de l’ordre alors que tout s’est bien passé dans des zones classées rouge. Pour le Premier ministre, il faut apprendre des expériences de ces législatives afin de mieux organiser les prochaines élections. « Nous devons humblement reconnaître que notre société est malade, que nous n’avons pas certaines traditions, déclare Evans Paul. Nous sommes confiants que les élections d’octobre seront mieux organisées. Que ce soit au niveau du gouvernement, du CEP, du côté des partenaires internationaux… il y a des choses à corriger dans le but d’offrir au peuple haïtien un meilleur scrutin à l’avenir. »
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