MosaikHub Magazine

États-Unis : Uber, une machine de guerre

vendredi 3 juillet 2015

Fondée en Californie il y a 5 ans, la société de transport a réussi à s’imposer en faisant pression pour faire changer les législations des États.

De notre correspondante à Washington, Hélène Vissière
Fin mai, des chauffeurs de taxi de Las Vegas se sont rassemblés devant le célèbre Caesars Palace pour manifester contre les entreprises qui mettent en relation, via une application type UberPop, des clients avec des conducteurs qui les transportent dans leur voiture personnelle. Agitant des pancartes "Aidez le Nevada à maintenir la sécurité routière" et "Protégez nos emplois", ils ont dénoncé la concurrence déloyale de ces chauffeurs privés, qui sont soumis à des réglementations moins strictes en matière d’assurance, d’inspection des véhicules, de vérification des antécédents judiciaires, et peuvent ajuster leurs tarifs selon les heures. Mais c’était un combat perdu d’avance. Le Nevada, l’un des derniers États à résister, a approuvé deux mesures qui autorisent Uber à opérer légalement, à condition de respecter un certain nombre de critères d’assurance notamment.

Aux États-Unis, rien ne semble pouvoir arrêter la déferlante Uber, et son concurrent Lyft, pas même les syndicats archi-puissants de taxis. Cinq ans après son lancement en Californie, Uber opère dans plus de 300 villes sur 6 continents. L’un des derniers bastions des taxis, les aéroports, est en train de tomber. Celui de San Francisco, après un an de bataille, a autorisé UberX, l’équivalent d’UberPOP, à opérer. Leur succès s’explique par le fait, affirment leurs utilisateurs, que c’est rapide, efficace, souvent moins cher avec une meilleure qualité de voiture et de service.

Ce n’est pourtant pas faute de s’être battus. Les taxis un peu partout aux États-Unis ont organisé des manifestations et sont parvenus à faire bloquer Uber dans plusieurs villes, dont Austin, au Texas, et Philadelphie. À Boston et Chicago, ils ont lancé une action en justice contre la municipalité qui, en autorisant ce type de chauffeurs non professionnels, a provoqué une chute de la valeur des licences. La fédération des taxis TLPA de son côté a lancé une grande campagne intitulée "Qui est votre chauffeur ?" pour mettre l’accent sur les risques que font courir ces conducteurs à l’usager. Un chauffeur d’Uber a fait l’objet d’une plainte pour viol et un autre a tué une petite fille de 6 ans en la fauchant sur le bord du trottoir à San Francisco.

250 lobbyistes, dont un conseiller d’Obama

Mais Uber a mis au point une machine de guerre redoutable. En un an, il a créé l’un des plus gros lobbies du pays, raconte l’agence Bloomberg dans une grande enquête. L’entreprise de San Francisco emploie au moins 250 lobbyistes – soit un tiers de plus que le géant de la distribution Walmart – qui défendent ses intérêts au niveau national, sans compter tous ceux qui travaillent pour elle au niveau des municipalités. Et parmi eux, on trouve de grosses pointures. L’an dernier, Uber a recruté David Plouffe, l’ex-directeur de campagne d’Obama, qui a mené la brillante opération de la présidentielle de 2008, avant de devenir un des proches conseillers en communication du président.

Ville par ville, État par État (aux États-Unis, la réglementation diffère d’un endroit à l’autre), ils ne cessent de s’attaquer à ce que le PDG d’Uber appelle "le gros cartel des taxis" et de faire pression sur les législateurs. Dans le Nevada par exemple, en octobre 2014, UberX commence à opérer à Reno et Las Vegas. Les lois qui régissent les taxis ne s’appliquent pas à la compagnie, clame-t-elle, puisque ce n’est pas une entreprise de transport, mais une société de technologies. Un juge réfute ces arguments et lui interdit d’exercer. Uber embauche alors 16 lobbyistes qui oeuvrent à mettre en place un cadre légal. Dans l’Idaho, les hommes d’Uber ont apparemment aidé à rédiger la loi qui réglemente leur activité…

Les conducteurs UberPOP bientôt considérés comme des salariés ?

L’entreprise se sert aussi de techniques de mobilisation modernes pour faire pression sur les villes. Elle fait appel à son réseau de clients en les incitant à signer des pétitions et à envoyer des messages à leur député. À Portland, dans l’Oregon, UberX démarre son service sans autorisation, puis lorsque la mairie s’insurge, la société lance une pétition qui recueille 7 000 signatures en seulement 4 heures. Idem dans l’Illinois, où le gouverneur après avoir reçu une pétition signée par 90 000 personnes a mis son veto à une mesure approuvée par le congrès local qui imposait aux chauffeurs d’UberX qui travaillent un certain nombre d’heures d’obtenir une licence professionnelle et une assurance spéciale. La compagnie a contre-attaqué en mobilisant son réseau client, mais aussi en envoyant un mailing aux électeurs dans les circonscriptions où les élus avaient soutenu la loi, une tactique qualifiée d’intimidation par ses adversaires. En janvier, le gouverneur a finalement signé un texte remanié avec la bénédiction d’Uber, qui a jugé que c’était une des lois "les plus progressistes" du pays.

Comme souvent aux États-Unis, la bataille s’est déplacée au tribunal. Récemment, Uber a perdu un procès très important concernant son activité UberX impliquant des chauffeurs non professionnels. La Commission du travail de l’État de Californie a en effet estimé qu’une conductrice devait être considérée comme une salariée et non pas comme un travailleur indépendant, une décision qui risque d’avoir des répercussions énormes et de bouleverser complètement le modèle économique d’Uber. Car avoir des salariés signifie qu’il faut leur garantir un salaire minimum, cotiser à leur retraite, indemniser leur essence et la maintenance du véhicule… Pour l’instant, le jugement ne s’applique qu’à un chauffeur, Barbara Ann Berwick, à qui Uber va devoir rembourser près de 4 000 dollars de frais. Mais un juge en Floride a statué de la même façon. Uber a fait appel. Affaire à suivre.


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