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Enceinte de quadruplés à 65 ans : "Ceux qui ont fait cela ne sont pas des médecins"

lundi 13 avril 2015

INTERVIEW. Le professeur Israël Nisand, gynécologue et obstétricien, s’émeut de l’annonce de la grossesse d’une Allemande de 65 ans, déjà mère de 13 enfants.

Propos recueillis par Marion Cocquet

À 65 ans l’Allemande Annegret Raunigk, mère de treize enfants et sept fois grand-mère, est à nouveau enceinte... de quadruplés. Le cas passionne le public, mais consterne le monde médical. Le professeur Israël Nisand, chef du pôle de gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg et fondateur du Forum européen de bioéthique, explique les raisons de son inquiétude.

Le Point.fr : Comment réagissez-vous à la nouvelle de cette grossesse ?

Israël Nisand : Elle me choque, et elle m’inquiète. Ceux qui ont pratiqué cette insémination ne sont pas des médecins. Ce sont des affairistes, des prestataires de service. Je crois que l’un des grands défauts de l’être humain est l’avidité : on veut faire le plus d’argent possible, le plus rapidement possible. Y compris, dans certains pays, sur des sujets relevant de la santé et de la vie humaine. J’ai vu en Turquie ou en Inde des lieux où se pratiquait l’aide médicale à la procréation dans des conditions sordides, à partir d’ovules vendus par des jeunes femmes. Comme les patientes ne peuvent revenir plusieurs fois, les médecins implantent l’ensemble des embryons qu’ils ont obtenus, et "au revoir, madame".

Quels sont les risques d’une telle grossesse ?

80 femmes meurent en couche chaque année en France, sur 800 000 naissances. Parmi elles, 60 ont plus de 40 ans. À partir de cet âge, les risques d’embolie, d’AVC, d’infarctus sont accrus. La grossesse met en tension tous les organes du corps. Pour une femme qui, à 45 ans, est en bonne santé, cela peut très bien se passer. Au-delà de 50 ans, pour une grossesse simple, le risque de mortalité maternelle est multiplié par 20. Au-delà de 60, par 200. Je ne vous parle pas de ce que cela représente lorsqu’il s’agit d’une grossesse multiple... Les médecins qui se prêtent à cela commettent une faute professionnelle grave, ils mettent en danger la vie de cette femme et de ces bébés. Sans compter le droit des enfants à avoir des parents. Lorsque ceux-ci entreront à l’école, leur mère aura plus de 70 ans. Peut-on vraiment se mettre la main devant les yeux, et ne pas considérer cet aspect-là ? Les patients ont le droit de tout demander, les médecins ont le devoir de ne pas tout accepter.

Comment un gynécologue peut-il réagir face à un tel cas ?

Il ne peut évidemment que suivre la patiente, refuser reviendrait à de la non-assistance à personne en danger. Surtout si, comme c’est d’ailleurs souvent le cas en Allemagne, la mère refuse une interruption sélective de grossesse qui permettrait de réduire les risques. Pour le reste, notre rôle est de prévenir nos patientes que non, contrairement à l’impression que ce type de cas peut donner, la médecine ne fait pas de miracle. Être enceinte à 65 ans ne peut se faire qu’avec les ovules d’une autre femme. La vie humaine s’est allongée, les femmes sont plus en forme à 60 ans que ne l’étaient leurs mères et leurs grands-mères. Mais la vie de la reproduction, elle, est restée la même. La fécondité n’a pas augmenté d’un iota, contrairement à ce que beaucoup de patients semblent croire. La semaine dernière, j’ai reçu une femme de 46 ans qui venait de se marier et m’a dit "pour le bébé, on réfléchit encore"...


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