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En Ukraine, la guerre des mots

lundi 1er septembre 2014

La guerre en Ukraine n’est pas seulement une guerre de position, mais aussi de mots et de références historiques. Comment qualifier l’intervention russe côté occidental ? En Occident, les réponses sont variées et soulignent les divisions. A Berlin, Washington et Paris, on se garde bien d’employer le mot d’« invasion ». Le président américain Barack Obama évoque une « incursion russe ».

Devant les ambassadeurs français, François Hollande a été également prudent : « S’il était avéré que des soldats russes sont présents sur le sol ukrainien, ce serait bien sûr intolérable et inadmissible. » « Les Français s’en tiennent au conditionnel et ils s’y tiendront le plus longtemps possible en raison de l’affaire des porte-hélicoptères Mistral » (deux navires que les Français doivent livrer aux Russes), estime François Heisbourg, de la Fondation pour la recherche stratégique.

Ces précautions de langage scandalisent ceux qui souhaiteraient des Occidentaux beaucoup moins timorés. Dans un texte publié sur le site de Time samedi 30 août, l’opposant russe et ancien champion du monde d’échecs Garry Kasparov a dénoncé un « vocabulaire de lâcheté en provenance de Berlin et de Washington aussi honteux que la propagande en blanc et noir du régime de Poutine, voire plus dangereux ».

« Alors que les troupes et colonnes armées russes avancent dans l’est de l’Ukraine, le gouvernement ukrainien réclame de l’aide du monde libre (…). Les dirigeants du monde libre, pendant ce temps, tentent de trouver la bonne terminologie pour se libérer de leur responsabilité morale d’accorder cette protection », écrit-il.

Certains pays européens, en particulier dans le Nord, sont cependant beaucoup plus offensifs dans leur vocabulaire. Au Conseil européen, samedi, la présidente lituanienne, Dalia Grybauskaite, a même jugé que la Russie était « pratiquement en guerre contre l’Europe », appelant cette dernière à fournir des armes à l’Ukraine.

CONFLIT DES MÉMOIRES

Il n’y a pas que les mots, mais aussi un conflit des mémoires. En pleine commémoration du centenaire de la Grande Guerre, les analogies ne manquent pas. François Hollande a mentionné le livre de l’historien Christopher Clark, Les Somnambules. Eté 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre. Angela Merkel l’a également lu.

Pour l’historien australien, les « somnambules », ce sont les responsables politiques du début du siècle dernier qui n’ont pas su ou pu voir clairement la tragédie vers laquelle ils s’acheminaient. Aujourd’hui, l’Europe serait-elle incapable de prendre des décisions, hantée par le conflit sanglant ? Dans une rhétorique outrancière, Vladimir Poutine, lui, se tourne vers la seconde guerre mondiale, accusant les Ukrainiens pro-européens d’être des nazis et comparant le siège de Donetsk à celui de Leningrad.

« Les analogies historiques, c’est intéressant quand cela sert à aider la réflexion, mais c’est absolument désastreux quand cela sert à justifier n’importe quoi. Ça peut être la justification de l’inaction en s’abritant derrière Les Somnambules de Christopher Clark. Le n’importe quoi c’est évidemment Poutine qui traite les Ukrainiens de nazis et compare Donetsk à Leningrad », juge François Heisbourg.


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