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Diagnostiquer un cancer par une simple prise de sang

dimanche 2 novembre 2014

Patrizia Paterlini-Bréchot a fondé la société qui a développé le test ISET, qui permettrait de détecter les cellules tumorales dans le sang. Rencontre.

Propos recueillis par Sophie Pujas
Un nouvel espoir dans la lutte contre le cancer ? Développé par la compagnie française Rarecells Diagnostic, le test ISET ("Isolation by Size of Tumor Cells") permettrait de diagnostiquer précocement un cancer, par simple prise de sang. Des études menées par l’équipe du professeur Hofman (Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement, Nice-Ircan) l’ont confirmé. Le test sera commercialisé en France en novembre à destination des patients malades du cancer. Les explications de Patrizia Paterlini-Bréchot, professeur de biologie moléculaire et cellulaire à l’université Paris-Descartes, et fondatrice de Rarecells Diagnostic.

Le Point.fr : Qu’est-ce qui change avec cette nouvelle méthode de détection du cancer ?}

Patrizia Paterlini-Bréchot : Ce qui a été démontré, c’est la possibilité de faire un diagnostic avant que le cancer ne soit diagnosticable par imagerie, sur simple prise de sang ! On sait très bien qu’un diagnostic précoce donne une chance beaucoup plus importante de sauver le patient. Nous avons l’exemple du frottis, le "pap-test", qui permet un diagnostic précoce. On sait maintenant qu’il permet de prédire 90 % des cancers du col de l’utérus. C’est le test, en médecine, qui a sauvé le plus de vie ! Le test ISET qui a été mis au point est une sorte de pap-test du sang. C’est un vrai espoir de modifier l’espérance de vie des patients atteints de cancer.

Mais comment fonctionne ce test ?

Les cellules rares, y compris tumorales, sont extraites du sang en les gardant intactes et sans aucune perte. Il faut comprendre que, dans le sang, il peut y avoir des cellules tumorales, mais il existe aussi d’autres cellules rares non tumorales. Il faut pouvoir distinguer les unes des autres. Il faut combiner un test capable de ne pas perdre ces cellules rarissimes, et de ne pas les endommager. Notre test possède cette sensibilité confirmée par d’autres chercheurs, et validée comme reproductible. Il a la capacité de détecter une cellule tumorale dans dix millilitres de sang, c’est-à-dire mélangée en moyenne à cent millions de globules blancs et cinquante milliards de globules rouges. Pourquoi s’est-on acharné à faire un test aussi sensible ? Parce que plus il est sensible, plus on peut arriver précocement dans le cours de la maladie.

Concrètement, combien de patients ont été concernés par cette étude ?

Deux cent quarante-cinq, dont cent soixante-huit souffrant d’une bronchopathie chronique obstructive, gros fumeurs, et présentant de forts risques de développer un cancer du poumon. Le test ISET a détecté ces cellules tumorales chez cinq des cent soixante-huit patients. Chez ces cinq patients, au scanner, il n’y avait aucun nodule évident. Le nodule est apparu de un à quatre ans après l’apparition des cellules tumorales. Les patients ont alors été opérés immédiatement et le diagnostic de cancer du poumon a été confirmé par l’analyse pathologique du nodule. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’aucun signe de récidive de cancer n’a été détecté seize mois après l’opération. Or, le cancer du poumon est le plus meurtrier. Il est très invasif, très malin. En moyenne, cinq ans après le diagnostic, 87 % des patients sont morts. Les espoirs de survie sont liés à sa détection précoce, au stade 1. Et dans ce cas, tous les patients étaient au stade 1. C’est pour cela qu’on peut espérer qu’ils aient été sauvés.

Ces résultats valent pour tout type de cancer ?

Ce type d’études doit être fait sur des sujets à risque, et les sujets avec bronchopathie sont une cible privilégiée, c’est la raison du choix qui a été fait. Ce n’est pas la seule, il y a d’autres populations à risque. Mais le test est valable pour tout type de cancer solide. Néanmoins, à l’heure actuelle, le test ne dit pas de quel organe les cellules tumorales dérivent. C’est l’une des dimensions de la recherche à développer.

Comment a procédé votre équipe ?

Nous travaillons sur le sujet depuis vingt ans. Notre premier article date de 1997, deux ans après que nous ayons commencé. D’après des études sur des animaux, nous avions compris que les cellules tumorales sont dans le sang des années avant les premières métastases. Nous y avons vu une fenêtre pour prévenir la formation des premières métastases, et sauver le patient. Notre équipe a clairement vu que la capacité à sauver des vies dépendait de la faculté de fabriquer un test, d’une part, avec une sensibilité inégalée, et d’autre part sans erreur. Les deux étaient un défi. C’est pour ça qu’on a développé, amélioré, validé le test. Ayant développé le test, il ne fallait pas que l’étude vienne de nous. Nous avons fondé Rarecells en 2009 pour avoir la possibilité de le commercialiser et de le faire étudier par d’autres. Il existe aujourd’hui plus de trente-cinq publications scientifiques de haut niveau utilisant le test ISET. C’est l’équipe du professeur Hofman qui a réussi le défi. Ils ont réalisé cette étude. Ils sont devenus les spécialistes mondiaux de la cytopathologie pour détection des cancers solides sur le sang.

Votre équipe étudie aussi le test ISET pour des diagnostics prénataux...

Oui, le test arrive à isoler du sang des femmes enceintes des cellules trophoblastiques (de placenta, NDLR). Notre équipe, qui travaille aussi dans ce domaine, a réalisé une validation clinique et a publié plusieurs articles. La détection de la trisomie 21 par ce système est actuellement à l’étude. L’avantage de la technique, c’est la possibilité d’isoler du sang des cellules foetales, où se trouve l’ADN foetal pur, donc non mélangé à l’ADN maternel. Par rapport aux méthodes sur l’ADN plasmatique, notre méthode peut potentiellement faire le diagnostic de toute maladie génétique, alors que l’ADN plasmatique ne permet de détecter que la trisomie et d’autres aneuploïdies (lorsque des cellules ne possèdent pas le nombre normal de chromosomes, NDLR).

Quelles seront les étapes de la commercialisation ?

Cela se fera au rythme des aspects réglementaires et des validations scientifiques. Le test devrait être commercialisé avant la fin de l’année pour tous les patients avec un cancer déjà diagnostiqué. Car il permet de détecter précocement l’invasion tumorale, mais aussi de suivre les patients traités pour savoir plus rapidement quel traitement est efficace ou pas. Si le traitement est efficace, les cellules tumorales disparaissent du sang. Les patients opérés sont suivis actuellement par des méthodes d’imagerie. Mais quand les métastases apparaissent, c’est déjà souvent trop tard.

Concernant l’application du test ISET en diagnostic précoce des cancers, donc chez des sujets apparemment sans cancer, nous voulons développer des tests plus complets permettant de déterminer l’origine du cancer par analyse des cellules tumorales circulantes. Ces nouveaux tests pourront également déterminer si ces cellules tumorales circulantes portent des mutations qui aident à choisir les nouveaux traitements ciblés sur simple prise de sang, sans besoin de biopsie, application appelée "biopsie liquide".

Faudra-t-il des équipes spécifiquement formées à la lecture de ces tests ?

Tout à fait. Nous pensons que la qualité du test ISET est liée à l’excellence technique d’extraction des cellules tumorales du sang et à la compétence scientifique des cytopathologistes. Le centre de Nice est aujourd’hui le plus qualifié, mais nous savons que d’autres pourront acquérir cette compétence à l’avenir. ISET sera utilisé à la discrétion des oncologues, qui seront informés des caractéristiques du test.

Vous le vivez comme une victoire personnelle ?

C’est l’aboutissement de mon rêve le plus précieux ! Je considère avoir eu la chance d’arriver dans le domaine des CTC (Circulating Tumor Cells, les cellules tumorales circulantes, NDLR), de travailler en France entourée de groupes excellents. Au départ, je suis clinicienne oncologue. J’ai été très marquée par les patients que je n’ai pas pu sauver. C’était un but de vie, et voir que ce but commence à trouver sa voie, c’est extraordinaire ! Il reste à suivre cette voie, à la développer et à l’exploiter, mais toujours avec la rigueur scientifique et le souci du patient. On sait que le marché des CTC est énorme, il ne faut pas perdre de vue le but principal qui est de sauver des vies. Et cela sera strictement lié à la qualité scientifique des tests qui sont développés.