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Herby Widmaier / décès / hommage

Merci Herby

vendredi 28 avril 2017

En guise de mots pour saluer la mémoire de cet éternel pionnier, astre des ondes et de la musique haïtiennes, la section culturelle republie in extenso un texte du compositeur-arrangeur Jean Jean-Pierre paru dans nos colonnes le 25 juillet 2013. Comme une prémonition, cette soirée-concert exceptionnelle du 6 juillet, qui avait réuni des illustres de la musique, allait être un ultime hommage au géant qu’était Herby Widmaier

Culture -
Si l’actualisation de soi (self-actualization), d’après le psychologue américain Abraham Maslow, c’est aspirer à devenir la meilleure version de soi-même, à manifester ses talents dans la vraie vie, il est évident qu’Herby Widmaïer a accédé au degré où il peut s’enorgueillir d’avoir atteint son actualisation tout en menant une existence utilitaire. Utile à son environnement immédiat. Utile à la société. Utile à son pays.

À 17 ans, Herby conçut et exécuta le son et le bruitage pour le film « Moi Je suis belle » (circa 1950), réalisé par son père, l’un des pionniers de la radio et du cinéma en Haïti, Ricardo Widmaier et Edouard Guilbaud. Le scénario du film était de Jean Dominique -il en avait été aussi le narrateur-. Plus tard, quand Herby rejoint les rangs de l’orchestre d’Issa El Saieh, nous avions pu découvrir un jeune et talentueux chanteur qui n’avait rien à envier aux Mel Torme, Frank Sinatra ou Tony Bennett. Exagérations, direz-vous. Ecoutez « Women in love » et « Choucoune », ou plus récemment « Fanm Peyi m ».

La vedette des stations suivant le même itinéraire emprunté (tracé conviendrait mieux) par son père, Herby introduira une myriade d’innovations dans la radio en Haïti. Citons-en quelques-unes « Jingles » d’identification : « Radio Haïti, la station des vedettes, La vedette des stations ». Certes, nous avions les Théophile Salnave (dit Zo), Jean Sorel, Gwo Djo, Jazz des Jeunes (cigarette Banda), Nemours Jean-Baptiste (Step Over, Energetic, Barbancourt) et Raoul Guillaume (Esso) qui faisaient de la pub enregistrée, mais c’était la première fois qu’on produisait en Haïti des spots promo d’identification avec de la musique originale. Quand il fonda Radio Métropole le 7 mars 1970, c’était l’échappée permanente d’un déversoir de créativité. « Nous aimons le compas, le jazz et la bossa… » (avec son ami Michel Desgrottes, assisté de l’orchestre Septentrional), « 129 sur votre cadran », « Bon week-end » et tant d’autres encore sont au départ de toute une tradition.

Bande FM : si l’Américain Edwin Howard Armstrong est le père de la bande FM (fréquence modulée), pour l’avoir inventée en 1933, Herby Widmaïer est le fier papa de sa diffusion en Haïti. Radio Métropole a été la première station commerciale émettant sur bande FM.

Emission interactive : la première émission en Haïti conçue avec la participation directe des auditeurs à travers des lignes téléphoniques (en ce temps-là, il n’y en avait pas beaucoup en Haïti) fut produite par Herby Widmaïer. M. et Mme X fut présentée par feu René Toussaint et Iveline Sokol, devenue plus tard son épouse. Donc, Herby a été le premier à mettre en ondes les auditeurs et les reporters. (Sois rassuré, Herby, que l’histoire ne te tiendra pas rigueur de l’utilisation abusive que nous faisons de ce système de communication au travers duquel nous débitons nos conneries et nos délations à longueur de journée.)

Reportage mobile : Herby inaugura le reportage mobile en Haïti avec ce programme matinal « Quand Port-au- Prince bouge » mettant en vedette l’original Bob Lemoine, un modèle dans la radio en Haïti. Ce programme avait aussi permis au public de découvrir les talents de ce technicien hors pair qu’est M. Roland Dupoux, membre fondateur de la station. Nouvelles à chaque heure : je me souviens de cet excellent musicien Michel Déjean, ancien directeur du Choeur Déjean, qui était le propriétaire/opérateur de ce bar à la rue Bonne Foi et qui cavalait chaque 15 minutes avant l’heure à Radio Métropole, rue Pavée, à l’étage de la bonbonnière Madame et Mademoiselle, pour présenter les nouvelles internationales « toutes les heures, 5 minutes avant l’heure ».

Ingénieur du son (studio d’enregistrement) : entre 1955 et 1972, Herby a enregistré plus de 80% des albums réalisés par tous les orchestres haïtiens. Quant à ses prouesses de technicien de radio, d’amplificateurs, etc., n’en parlons pas. « Music from 10 to 11 », une école sur les ondes. Si La Dessalinienne était notre hymne national du matin, pour nous autres, jeunes musiciens de l’époque, le thème de l’émission de jazz

« Music from 10 to 11 » -sur fond de rythme bossanova-, présentée tous les soirs par Herby lui-même, était devenu notre hymne du soir. À travers ce programme, cela dès la genèse de Radio Métropole, Herby élargissait nos horizons musicaux. Nous fûmes exposés aux Stan Getz, Dizzy Gillespie, George Benson, Ella Fitzgerald, Charles Mingus, Cannonball Adderly, John Coltrane, Charlie Parker, etc. Nous devînmes familiers des big bands de Duke Ellington, Woody Herman, Artie Shaw et de Count Basie. Trois ans plus tard, avec son ami Gérald Merceron (un autre contributeur de la musique en Haïti), il nous a permis de voir évoluer sur scène (et de rencontrer) ces musiciens pour lesquels nous nous accrochions à nos cadrans (ainsi le chantait si bien Herby « 129 on radio dial… »). D’autres, tels Lee Konitz, Jim Hall, Ron Carter, Jack de Johnette, Sarah Vaughn, Eumir Deodato, Herby Mann, s’ajoutèrent à la liste des illustres visiteurs. On rencontrait parfois ce dernier déambulant tout seul au boulevard Jean Jacques Dessalines.

Herby n’était pas à son coup d’essai. Déjà en 1962, il encourageait David Young (un ami commun qui est parti) à faire venir en Haïti le grand jazz saxophoniste américain Zoot Sims (de son vrai nom John Haley Sims). (Arrivés ici en Haïti, la première personne qu’ils se sont fait le devoir de visiter fut Mme Georgette à son Flamingo Bar -et lupanar- à Martissant). « Excellence », est le mot que je préfère utiliser pour qualifier la carrière de Herby Widmaïer. Car toutes ses entreprises sont imprégnées de ce désir contagieux de surpasser le standard ordinaire. Il est indéniable que nous, qui grandissions en Haïti à cette époque, avions pleinement bénéficié de cette ambition de bien faire. De faire mieux. Quant à moi, je me suis servi de ce modèle pour me guider dans mes nombreuses productions à Carnegie Hall et au Lincoln Center. En plus, j’ai été vraiment honoré d’avoir pu inclure la voix d’Herby (Haïti de Marcel Sylvain son dernier enregistrement en date), dans mon CD « 1804-2004 Happy Birthday Haiti ».

Aujourd’hui, la station qu’il a créée reste encore une institution de référence qui priorise la qualité. Pas de nivellement par le bas. Pas d’« informations sous toutes réserves ». Il avait bien inculqué à ses fils Richard et Joël les principes primordiaux du medium. Les normes inéluctables de la déontologie de la profession.

Actualisation de soi ? Herby a utilisé son potentiel pour servir. Nous sommes tous partie à un contrat social tacite qui stipule que nous devons laisser l’espace où nous évoluons mieux que nous l’avons trouvé. Herby Widmaïer peut être fier d’avoir honoré ses obligations contractuelles.

Merci Herby ! Jean Jean-Pierre

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