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Le "robot tueur" de Dallas, une première aux États-Unis

dimanche 10 juillet 2016

Pour neutraliser l’homme soupçonné d’avoir tiré sur des policiers à Dallas, les forces de l’ordre ont envoyé un robot équipé d’une bombe. Un choix polémique.

De notre correspondante aux États-Unis, Hélène Vissière

Ça ressemble plus à une opération de guerre qu’à une tactique policière classique. Micah Xavier Johnson, après avoir abattu cinq policiers et en avoir blessé sept autres lors d’une manifestation pacifique contre la violence policière à Dallas, s’est retranché dans un parking. La police est entrée en contact avec lui, mais quand, au bout de plusieurs heures, les négociations ont échoué, il a fallu trouver une solution. Elle ne pouvait pas utiliser de sniper et organiser un raid était dangereux. Elle a donc décidé d’envoyer un robot télécommandé équipé d’une bombe qu’elle a fait exploser à proximité de Johnson, le tuant sur le coup.

L’usage d’un robot dans le but de tuer un individu dangereux à distance est sans précédent aux États-Unis. Les militaires, en revanche, se sont déjà servis de ce type de robot afin de débusquer des insurgés en Irak. Selon Peter Singer, un expert, il leur est arrivé d’armer des robots de mines antipersonnel et de les envoyer se faire exploser dans les endroits où des ennemis se tenaient en embuscade.

La militarisation des forces de l’ordre

Lors d’une conférence de presse, le chef de la police de Dallas, David Brown, a expliqué qu’une fois les négociations rompues, « nous n’avons pas vu d’autres options que celle d’utiliser notre robot et de placer un explosif pour qu’il aille le faire détoner là ou se trouvait le suspect ». D’autres solutions auraient « exposé nos officiers à de graves dangers ».

Le modèle du robot n’a pas été dévoilé, mais il provient très certainement des stocks militaires. Avec la fin de la guerre en Irak, l’armée américaine doit gérer un énorme surplus d’équipements en tout genre, qu’elle brade aux départements de police de tout le pays. Ce qui a déclenché une grosse polémique sur les dangers de la militarisation des forces de l’ordre, surtout après le scandale de Ferguson en 2014, quand la police a réprimé les émeutes raciales avec des véhicules blindés. Le président Barack Obama a limité, en 2015, ce programme fédéral de transfert de matériel militaire, mais ne l’a pas stoppé totalement.

Questions éthiques et juridiques

Cela fait une vingtaine d’années que les forces de l’ordre aux États-Unis utilisent des robots de différentes tailles armés d’une caméra, de capteurs et d’un bras articulé. Certains ont la capacité de monter et de descendre les escaliers, de défoncer des portes ou de couper des fils électriques. Le plus souvent, ils servent à inspecter les paquets suspects ou à saisir des explosifs et à les transporter dans un endroit sûr pour les désamorcer. Mais la police en a utilisé aussi à plusieurs reprises lors de prises d’otages, notamment l’an dernier pour faire sauter la porte d’un placard dans lequel un homme soupçonné d’avoir tué ses enfants s’était barricadé. À San José, en Californie, les forces de police ont eu recours à un robot pour apporter une pizza et un téléphone à un individu armé sur un pont d’autoroute et le convaincre de ne pas se suicider. Dans le Tennessee et au Nouveau-Mexique, des engins porteurs d’une bombe lacrymogène ont servi à déloger des suspects barricadés dans une chambre d’hôtel. À Dallas cependant, le robot n’a jamais été programmé pour pousser Johnson à se rendre.

Si les experts s’accordent sur le fait qu’il s’agit, de même que les drones armés, d’un moyen efficace de liquider un individu violent sans mettre en danger des policiers, ils sont divisés sur l’aspect éthique et juridique. Que les forces de l’ordre fassent usage de leurs armes pour se protéger dans une fusillade est une chose, mais se servir d’un engin high-tech afin de tuer intentionnellement à distance est très différent. « La police est autorisée à faire usage de la force mortelle pour se protéger, mais qu’est-ce que cela signifie… quand la police se trouve peut-être loin ? Voulons-nous que des robots de la police armés pour tuer deviennent un élément ordinaire des méthodes policières ? » s’interroge dans le Wall Street Journal Elizabeth Joh, une professeur de droit de l’université de Californie avant d’ajouter qu’il est urgent de mettre en place une réglementation, car ce n’est sans doute pas la dernière fois qu’on utilise les services d’un robot tueur.


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