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Bloc-notes

En finir avec le 17 octobre

lundi 30 octobre 2017

National -

Il y a le vingt-neuf juillet dix-neuf cent quinze, la première semaine d’octobre dix-neuf cent trente-sept, comme dates de défaites historiques pour l’État et le peuple haïtiens. Il en est d’autres qu’on peut évoquer comme des rappels des chutes, des blessures, ayant affecté notre vie de peuple dans sa chair et sa dignité. Mais aucune n’a la valeur d’une genèse, elles sont l’aboutissement de quelque chose et le fait d’une volonté étrangère. Contrairement aux bêtises qu’on enseignait à nos enfants, Haïti est la victime et non la responsable de l’Occupation. Quant au massacre de trente-sept, en plus de sa nature extraterritoriale, il témoigne des rapports de force entre deux États partageant une même île, de la force du racisme en République dominicaine et de son utilisation par un pouvoir dictatorial.
Le dix-sept octobre dix-huit cent six reste le plus grand crime commis par des Haïtiens contre Haïti. On commence enfin à le dire, mais sans doute pas assez. Avec l’assassinat de Dessalines, c’est à la problématique de l’équité chère à l’empereur qu’on a mis fin. Et on a donné naissance à autre chose.
C’est insupportable de voir qu’on continue à entretenir les bacheliers des « causes » de l’assassinat de Dessalines. Lesquelles causes on va chercher dans lui. Encore un de ces cas où, par le pouvoir révisionniste des mots, la victime deviendrait coupable. Ils sont encore chanceux, nos pauvres bacheliers, quand ils rencontrent un maître qui trouve, en plus des anecdotes et du factuel, des causes dans l’analyse des rapports sociaux. Parlant des « conséquences », on se limitera au récit de la guerre entre le Nord et le Sud.
Mais qui osera dire de quel après l’assassinat de Dessalines est le début, quelle part de dix-huit cent quatre on a tuée en dix-huit cent six ? Ce refoulé, la culture populaire l’a saisi. Certains politiques s’en sont emparés, et s’il semble sommeiller en temps de paix, il nous remonte à la gorge en temps de crise.
Tant que nous n’en aurons pas fini avec dix-huit cent six, dix-huit cent quatre ne pourra retrouver pleinement son sens ni sa promesse. Redevenir affaire de peuple avec au moins, à sa base, un principe d’équité et d’égalité. Nous avons pris un long détour, si long qu’il a pris statut de permanence, de structure.
Ceux et celles qui disent qu’il faut préférer à dix-huit cent six la vie de Dessalines, l’épopée révolutionnaire et le vœu d’une naissance dans l’équité, n’ont certainement pas tort. La mort de Dessalines est un acte fondateur, mais fondateur de cette société qui est, au moins en partie, la négation de l’intention de la geste fondatrice. Cette geste que ni l’Etat ni l’organisation sociale n’ont su perpétuer.
En finir avec le dix-sept octobre, ce serait aussi, pour les élites, un regard critique sur elles-mêmes. Ce que le dix-sept octobre a fondé, c’est la puissance des oligarques et ces écarts sociaux qui ont fait d’Haïti l’un des terroirs des inégalités les plus abjectes dans l’histoire des temps modernes.

Antoine Lyonel Trouillot
Auteurc-notes


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