MosaikHub Magazine

9 avril 1984. Graham Backhouse commet le crime le plus foireux de Grande-Bretagne.

jeudi 9 avril 2015

Après une tentative ratée de meurtre sur sa femme, il se fait prendre pour celui du voisin à qui il voulait faire porter le chapeau.

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Graham Backhouse est bourré de dettes. Cet ancien coiffeur reconverti dans l’agriculture a cru que labourer n’était pas plus compliqué que de tracer une raie sur la tête d’un chauve... Or, le voilà avec 70 000 livres de dettes sur le dos. Comment s’en tirer ? Il y a bien un moyen... C’est faire appel à sa femme ! Mais à son insu. En la tuant pour toucher son assurance-vie. Il la connaît, son épouse, elle ne demanderait pas mieux que de se sacrifier pour sauver la famille. Même pas la peine de lui demander...

Durant des semaines, l’idée de tuer sa femme tourne et retourne dans la tête de Graham. Il cherche un plan imparable, le crime parfait ! Sa femme a souvent de bonnes idées, mais, cette fois, difficile de la consulter. Déjà, Graham double le montant de l’assurance-vie de son épouse. Quitte à la perdre, autant se consoler avec un bon pactole, d’autant qu’il se retrouvera veuf avec deux enfants à charge.

Illumination

Un jour, son voisin Colyn Bedale-Taylor, devenu dépressif après la mort de son fils dans un accident de voiture, vient le voir. Graham a une illumination. Le voilà, son scénario ! C’est du génie à l’état brut. Même Agatha Christie aurait été incapable d’inventer mieux. Voici le plan : piéger sa propre voiture avec une bombe et faire croire, grâce à de faux indices, que c’est l’oeuvre de Colyn, qui, le tenant pour responsable de la mort de son fils, veut se venger. Seulement, ce jour-là, il s’arrangera pour que sa femme Margaret prenne le volant. Imparable ! Il ne reste plus qu’à passer à l’action. Le soir du 8 avril 1984, Graham piège sa voiture avec une bombe artisanale et sabote la voiture de son épouse. Il n’y a plus qu’à attendre.

Le lendemain, 9 avril 1984, Margaret Backhouse doit se rendre au village. Sa voiture refusant obstinément de démarrer, elle emprunte la Volvo de son mari. Elle tourne la clef de contact et connaît la surprise de sa vie. Une déflagration secoue le véhicule, lui provoquant une cuisante douleur aux fesses et aux jambes. Elle est criblée d’éclats comme un poilu de 14 après l’explosion d’une grenade.

Effondré

Margaret s’extrait du véhicule en hurlant de douleur. Mais que fait Graham ? Pourquoi n’accourt-il pas pour lui porter secours ? C’est que le petit malin a pris la précaution de s’enfermer dans l’étable en mettant sa radio à plein volume afin de ne pas être celui qui découvre le "cadavre" de son épouse. Il compte pour cela sur le bus scolaire qui doit bientôt passer. Effectivement, le voilà qui approche. Voyant une femme se tortiller sur le sol à côté d’une voiture fumante, le conducteur comprend que celle-ci n’est pas en train de faire du yoga, il s’arrête et court chercher le mari. Graham a la mauvaise surprise de constater que son épouse frétille toujours.

Une ambulance vient chercher Margaret dont les blessures ne sont pas mortelles, tandis que les flics commencent leur enquête en interrogeant le mari déjà dans le collimateur. Bien entendu, l’ex-coiffeur joue le type effondré, ne comprenant absolument pas pourquoi quelqu’un a piégé sa voiture. Ceux-ci découvrent rapidement l’origine de l’explosion : une bombe artisanale placée sous le siège du conducteur, constituée de deux tuyaux en métal remplis de la poudre de 12 cartouches et empaquetés avec de la nitroglycérine et 4 000 billes en plomb. Par chance pour Maggie - et malchance pour Graham -, le souffle de la bombe s’est dirigé vers le bas.

You next

À l’inspecteur Tom Evans chargé de l’enquête, Backhouse sert son scénario pour faire porter le crime sur son voisin. Il lui affirme recevoir depuis quelques semaines des coups de fil anonymes le menaçant du pire. Un beau matin, il a même trouvé une tête de mouton empalée sur sa barrière, accompagnée d’un morceau de papier sur lequel quelqu’un avait écrit : "You next" (Vous, le prochain). À l’époque, dit-il, il avait porté plainte au commissariat local, qui n’avait pas donné suite. L’inspecteur lui demande s’il se connaît des ennemis. C’est là où il lui faut jouer subtil.

Backhouse commence par répondre par la négative, puis évoque avec un air gêné que, oui, effectivement, il a eu récemment une altercation avec son voisin Colyn Bedale-Taylor, connu pour agir d’une façon irraisonnée depuis la mort de son fils. Le flic prend bonne note de son histoire. Le fameux voisin est questionné à plusieurs reprises, mais il nie tout en bloc. Faute de preuve, il est impossible de l’arrêter. L’inspecteur Tom Evans se contente de placer Graham Backhouse sous protection policière, 24 heures sur 24.

L’ex-coiffeur décide alors de passer à la seconde phase de son plan pour faire définitivement accuser son voisin. Du grand art ! D’abord, se débarrasser de ses anges gardiens. Il propose aux policiers de les remplacer par un "bouton panique" directement relié au commissariat local. Proposition acceptée. Quelques jours plus tard, le 30 avril, les policiers entendent retentir l’alarme. Ils se précipitent chez les Backhouse, où ils découvrent une scène de crime sanguinolente. Le fameux voisin Colyn gît sur le sol, aussi mort qu’un colin froid. Apparemment, il a reçu une balle dans le buffet, il tient encore un cutter à la main. Backhouse est dans son salon, hébété, couvert de sang. Une longue estafilade barre son visage depuis l’oreille jusqu’au menton, sa chemise est tailladée.

Damned !

On le soigne, on l’interroge. Il déclare que Bedale-Taylor a débarqué chez lui sous le prétexte d’un meuble à réparer, puis qu’il lui a demandé des nouvelles de Margaret. Soudainement, il est devenu complètement dingue, a hurlé qu’il était envoyé par Dieu. Puis a reconnu qu’il avait placé la bombe dans la voiture de Graham pour venger la mort de son fils dont il le tenait pour responsable. Après cet aveu, l’homme s’est précipité sur lui avec un cutter à la main. Malgré ses blessures, Graham a pu saisir un pistolet et descendre Bedale-Taylor qui continuait à le menacer. Un scénario aux petits oignons que les flics devraient gober aussi facilement qu’un fish and chips, forcément. D’autant que, précaution suprême, Graham a planqué chez sa victime un tuyau similaire à celui qui a servi à fabriquer la bombe.

L’ex-coiffeur est parfaitement confiant dans son scénario. Pourtant, même en l’absence d’Hercule Poirot pour leur tenir la main, les enquêteurs décèlent de nombreuses invraisemblances dans son histoire. Un : l’estafilade sur son visage n’a pas pu être infligée par une autre personne compte tenu de son orientation. Deux : les traces de sang sur le plancher de la maison ne proviennent pas de gouttes, elles ont visiblement été dessinées à la main. Trois : le cutter tenu par Bedale-Taylor porte bien les initiales BT, mais les lettres paraissent bien différentes de celles que l’on retrouve sur les outils de la victime. Quatre : la paume de Bedale-Taylor qui serre le cutter est couverte de son propre sang. Ce qui est rigoureusement impossible s’il a été abattu avec son cutter à la main comme le prétend Graham. Cinq : en examinant minutieusement le morceau de papier qui accompagnait la tête de mouton, les experts décèlent les reliefs d’un gribouillage. Or, ce gribouillage, ils le découvrent dans un bloc-notes de Backhouse. Stop, n’en jetez plus !

Le paysan coiffeur qui croyait avoir commis le crime parfait est arrêté, inculpé, doublement condamné à la prison à vie. Une première fois pour tentative d’assassinat sur son épouse, et la deuxième fois pour l’assassinat de son voisin. N’est pas Agatha Christie qui veut.


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie