MosaikHub Magazine

8 août 1523. L’ermite Jean Vallière est le premier réformé à être brûlé vif en France.

samedi 8 août 2015

Adepte de Luther, ce moine augustin de Livry est rôti sur le marché aux pourceaux pour avoir aspiré à une réforme profonde de l’Église.
Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 8 août 1523, l’ermite Jean Vallière ne semble pas apprécier l’immense honneur qui lui est fait d’être le premier réformé français à être brûlé vif. Bientôt, ils seront des centaines de luthériens à périr par le feu ou par le glaive, massacrés par de bons cathos. Le tribunal de l’Inquisition l’a livré à la justice des hommes qui l’a condamné à être réduit en cendres. À peine le jugement prononcé, le bourreau s’est emparé vite fait de lui, car il ne veut pas rater les Feux de l’amour... Tirant le "mauvais" moine de sa geôle à la Conciergerie, il le transporte dans un tombereau à ordures comme demandé par les juges. Un hérétique ne mérite pas mieux. Sinon la ligne A du RER parisien à 18 heures...

Le convoi fait un premier arrêt à Notre-Dame de Paris pour que le condamné puisse assister à une messe d’expiation. Mais depuis le parvis. Pas question qu’un hérétique pollue la cathédrale par sa présence. Les cloches sonnent à toutes volées, mais Jean refuse de faire amende honorable. Bref, Jean Vallière persévère dans sa doctrine avec une "constance invincible". Puis un grand feu de joie est allumé devant l’édifice religieux avec tous les ouvrages de Luther saisis durant le mois de juillet dans la capitale. Après cet autodafé, les crieurs se répandent dans les rues étroites et nauséabondes de Paris pour prévenir que nul ne doit conserver chez lui des livres de Luther sous peine de confiscation de corps et de biens.

Couper la langue

Le moine est alors prié de remonter dans le tombereau qui le mène au marché aux pourceaux, installé au pied de la butte des Moulins, au-delà de la porte Saint-Honoré. Son bûcher l’y attend. Le grand reporter Bernard de La Villardière est déjà sur place, ne voulant rater pour rien au monde ce scoop... Indifférent à la foule curieuse, le condamné prie. Que les hommes mauvais fassent leur ouvrage. Lui sait qu’il a pris le bon chemin. Le pape François lui envoie un texto d’encouragement... L’exécuteur l’enchaîne au gibet, mais, avant de lui offrir du feu, il doit lui faire une petite gâterie ordonnée par le tribunal : lui couper la langue, cet organe avec lequel l’hérétique a propagé la mauvaise parole. Pendant que ses aides immobilisent Vallière, le bourreau lui introduit une impressionnante tenaille dans la bouche. Un flot de sang jaillit, tachant l’habit du condamné.

L’ermite n’a pas le temps d’apprendre le langage des signes qu’il est placé sur le bûcher. Bientôt, les flammes lui lèchent les pieds, puis l’enrobent. Les yeux levés vers le ciel, où "papa" s’en fout royalement, il grille à grand feu. La fumée l’étouffe. Il a quitté la Terre. Habituellement, les juges demandent discrètement au bourreau d’étrangler le condamné pour lui éviter de trop grandes souffrances. Mais pas cette fois-ci. Jean Vallière subit un supplice atroce. Il est le premier d’une longue série dont le massacre de la Saint-Barthélemy sera le point d’orgue.

Une réforme profonde de l’Église

Jean Vallière est un moine augustin d’une quarantaine d’années vivant dans un ermitage à Livry-en-Aulnoye (Livry-Gargan). À cette époque, les écrits de Luther commencent à se répandre en Europe et trouvent un écho, surtout dans les communautés religieuses. Luther était lui-même un moine augustin. Dans son journal, un bourgeois de Paris note que l’ermite aurait affirmé que "Notre Seigneur Jésus-Christ avait été de Joseph et de Notre Dame conçu comme nous autres humains". Comme de nombreux moines instruits de la Renaissance, Jean Vallière lit l’humaniste Érasme et aspire à une réforme profonde de l’Église.

Il approuve Luther quand celui-ci affirme que la Bible doit compter davantage que la parole du pape, qu’il faut condamner le trafic d’indulgences et que chaque chrétien doit nouer une relation de confiance directement avec Dieu sans passer par la hiérarchie ecclésiastique. Et peu lui chaut si, en janvier 1521, Luther reçoit une bulle d’excommunication. Il se procure les ouvrages de Luther, les lit et les fait connaître autour de lui. Il n’hésite pas à prêcher dans les villages autour de son ermitage, au vu et au su de tous. Pourtant, cela fait deux ans déjà que la Sorbonne a condamné les écrits et les idées de Luther.

Pendant ce temps, au sommet de l’État, le jeune François Ier - surtout sa mère Louise de Savoie, qui régente le royaume quand il guerroie - s’interroge sur l’attitude à adopter vis-à-vis des adeptes du luthéranisme. Au début, le souverain tente de contenir la Sorbonne et le Parlement décidé à sévir contre les prêtres partisans des idées nouvelles. En 1522, il promet même de réformer l’Église, d’en supprimer les abus. Mais ses velléités ne vont pas loin.

L’autre grand roi catholique de l’époque, Charles Quint, n’hésite pas à utiliser la manière forte contre les hérétiques, surtout en ses provinces des Pays-Bas. Le 1er juillet 1523, un mois avant le supplice de Jean Vallière, deux moines augustins d’Anvers, Henri Voes et Jean van Hessen, sont brûlés vifs sur la Grand-Place de Bruxelles. Alors que ses chairs commencent à griller, l’un d’eux lance : "Il me semble voir des roses répandues", avant. e se mettre à chanter un Te Deum avec son camarade.


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie