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3 décembre 1851. Le député Baudin sacrifie sa vie sur une barricade du faubourg Saint-Antoine

mercredi 3 décembre 2014

Le Point -

Il offre sa poitrine aux balles des soldats pour s’opposer au coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte.

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos
Le 3 décembre 1851, le député Jean-Baptiste Alphonse Victor Baudin se réveille fermement décidé à convaincre les Parisiens de combattre le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. La veille, celui-ci a dissous l’Assemblée nationale, rétabli le scrutin universel et envoyé en prison ses principaux opposants. Aussitôt, Baudin et une soixantaine de députés républicains ou montagnards, dont Victor Hugo, ont formé un comité de résistance. Ils comptent entraîner le peuple dans une nouvelle révolution pour jeter bas l’ambitieux.

Le 3 décembre donc, Baudin se rend au café Rovsin, sur le faubourg Saint-Antoine, où une vingtaine de députés se sont donné rendez-vous. Mais le député n’a croisé sur son chemin que des Parisiens apathiques. Au café, ses amis lui demandent : "Qu’avez-vous, Baudin ? Est-ce que vous êtes triste ?" Il se reprend, appliquant les conseils du coach qu’il partage avec Sarkozy. " Moi ? Je n’ai jamais été plus content !" Il déplie alors une copie de la déclaration de l’appel au peuple que lui a dictée la veille Victor Hugo avec pour consigne de la faire afficher partout dans Paris. Le texte : "Au peuple. Louis-Napoléon est un traître. Il a violé la Constitution. Il s’est parjuré. Il est hors la loi... Que le peuple fasse son devoir. Les représentants républicains marchent à sa tête. Vive la République ! Aux armes !" Un ouvrier typographe propose de l’imprimer sur-le-champ. Mélenchon jubile, il demande à ce qu’on marche sur Bercy...

"Vive la République ! Aux armes !"

Les élus présents décident de quitter le café Rovsin pour enflammer le faubourg. Comme ils ont oublié d’apporter leurs écharpes tricolores, ils en bricolent avec du calicot bleu, blanc et rouge trouvé dans une maison voisine. Tous les députés ne sont pas encore là. "Laissons à nos collègues le temps d’arriver", conseille Baudin, mais les autres s’impatientent. Après, ce sera trop tard. Victor Schoelcher (à l’origine de l’abolition de l’esclavage) donne le signal du départ. "Allons, nos amis nous rejoindront." Ils savent que l’armée est dehors. Plusieurs bataillons attendent place de la Bastille.

Les députés se prennent le bras pour se donner du courage. Une vingtaine d’ouvriers les accompagnent, criant : "Vive la République ! Aux armes !" Des mômes répondent : "Vive la Montagne !" Arnaud Montebourg, le fort en gueule, hurle : "Si la troupe ne se joint pas à nous, je la nationaliserai !" Les artisans sur le pas de leur boutique ainsi que les passants les regardent avec sympathie, leur lancent même des mots d’encouragement, mais ne courent pas prendre les armes. Le peuple parisien n’a pas l’intention de se soulever. Baudin et ses compagnons ne se découragent pas pour autant, ils se présentent au poste de garde de la rue de Montreuil pour s’emparer des armes. Les soldats les laissent faire. Une quinzaine de fusils, ce n’est pas suffisant. Les députés envahissent un deuxième poste de garde, qui se laisse également dépouiller sans résister. La petite troupe compte désormais deux cents hommes. On décide d’élever une barricade dans le faubourg Saint-Antoine. Cohn-Bendit n’est pas là pour leur donner des conseils, alors ils improvisent avec ce qu’ils trouvent : ils retournent une charrette de fumier qui passe par là, puis une de laitière et une voiture de boulanger.

Comment on meurt pour 25 francs

Un omnibus arrive de la Bastille. Le cocher, très aimable, fait descendre les voyageurs, dételle les chevaux et s’en va en laissant son véhicule à la disposition des manifestants qui le renversent aussitôt sur la barricade. Des paniers complètent l’édifice, qui s’avère, au final, peu impressionnant. " La troupe !" hurle un enfant. En effet, la voici qui descend le faubourg en provenance de la Bastille. Les hommes armés se placent courageusement derrière la barricade. Schoelcher s’écrie : "Citoyens, ne tirez pas un coup de fusil. Quand l’armée et les faubourgs se battent, c’est le sang du peuple qui coule des deux côtés. Laissez-nous d’abord parler aux soldats." Il monte sur l’édifice, imité par d’autres députés dont Baudin. Montebourg a disparu car c’est l’heure de son cours d’économie... Des hommes en blouse blanche se moquent des élus : "Croyez-vous que nous allons nous faire tuer pour vous conserver vos 25 francs par jour ? À bas les 25 francs !" En référence à l’indemnité qui leur est versée, les Parisiens ont pris l’habitude d’appeler ces nantis de parlementaires "les 25 francs". Piqué au vif, Baudin leur rétorque crânement : "Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs !" Et de présenter sa poitrine aux soldats qui chargent.

Sept députés non armés, menés par Schoelcher, marchent à la rencontre des soldats. Ceux-ci s’arrêtent. Une discussion s’engage entre Schoelcher et le capitaine. Mais ce dernier a des ordres, aussi il ordonne à ses hommes de charger la baïonnette au canon. "Mais l’hésitation, qui n’était dans leur âme, était dans le coeur des soldats", écrira Hugo. Au dernier moment, les soldats détournent leurs baïonnettes pour passer entre les parlementaires sans les embrocher. Malheureusement, la charge effraie un manifestant sur la barricade, qui tire un coup de fusil, touchant mortellement un soldat. Aussitôt, ses compagnons lâchent une salve. Trois balles frappent le "25 francs" Baudin, toujours dressé au-dessus de la barricade. Il tombe raide mort. Il a 40 ans.

La révolution fait pschitt

Le feu cesse. Les soldats, eux-mêmes, semblent sonnés par cette mort. Ils laissent les manifestants se disperser sans tenter de les arrêter. Une demi-heure plus tard, le cadavre de Baudin est emporté à la morgue de l’hôpital Sainte-Marguerite. Au même moment Victor Hugo arrive en fiacre en compagnie de Juliette. L’écrivain veut alors reprendre le flambeau, renouer le contact avec d’autres groupes populaires, détruire de nouveaux portiques... Mais les autres députés lui font comprendre que la messe est dite. Les quelques dizaines de barricades dressées cette journée-là sont tenues sans grande conviction par 1 500 manifestants et seront vite balayées. La révolution a fait pschitt. Napoléon a réussi son coup d’État. Hugo va partir en exil.

Le 4 décembre, le frère du député Baudin, étudiant en médecine, réclame le corps du député au commissaire du quartier, qui consent à le lui remettre à condition qu’il l’enterre en catimini. Cela est fait le 5 décembre au cimetière Montmartre. Devenu le symbole républicain face au despotisme, ses restes sont transférés au Panthéon le 4 août 1889, pour les cérémonies du centième anniversaire de la Révolution française.

C’est également arrivé un 3 décembre

1996 - Un attentat à la bombe tue quatre personnes à la station RER Port Royal, à Paris.

1984 - L’explosion d’un réservoir d’une usine de pesticides à Bhopal (Inde) fait au moins 20 000 morts.

1976 - Bob Marley est victime d’un attentat à son domicile.

1973 - La sonde américaine Pioneer 10 transmet les premières photographies de Jupiter.

1967 - Christian Barnard, chirurgien sud-africain, réalise la première greffe du cœur.

1947 - La pièce Un tramway nommé désir de Tennessee Williams est à l’affiche à Broadway.

1919 - Décès d’Auguste Renoir, 78 ans, à Cagnes-sur-Mer.

1910 - Au Salon de l’automobile, à Paris, Georges Claude présente sa lampe à néon.

1894 - Décès de Robert Louis Stevenson, 44 ans, auteur de L’île au trésor.

1873 - À Toulon, lancement du Richelieu, le plus gros navire de bois jamais construit.

1563 - Le concile de Trente affirme l’existence du purgatoire en tant que saine doctrine


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