MosaikHub Magazine

29 octobre 1763. Le marquis de Sade est bouclé à Vincennes sur dénonciation d’une prostituée.

mardi 28 octobre 2014

Jeanne Testard l’accuse de s’être masturbé sur un crucifix et de lui avoir demandé de mettre des hosties dans le vagin.

Le 29 octobre 1763, à l’aube, des inspecteurs de police frappent à la porte-cochère d’une petite maison de la rue Mouffetard. Au portier qui vient ouvrir, ils demandent à parler au maître de la maison. Le domestique les conduit auprès d’un jeune homme de 23 ans, élégant, de petite taille, le visage légèrement marqué par la petite vérole. Le jeune marquis de Sade s’étonne. Les représentants du lieutenant de police de Paris lui expliquent que, sur ordre du roi, ils doivent le conduire au donjon de Vincennes pour "débauche outrée". Donatien Alphonse François se décompose. Il tempête, pleure, dit qu’on doit le confondre avec un homme venant casqué chez une voisine... Rien n’y fait, il doit suivre les policiers qui le conduisent jusqu’à la forteresse où ils le remettent entre les mains du gouverneur, le lieutenant Guyonnet. Le divin Sade, qui terrorise les putes de Paris avec ses fouets, n’est plus qu’une loque humaine larmoyante.

Sade doit ce premier séjour à l’ombre à une jeune ouvrière de 20 ans, prostituée occasionnelle, qui n’a pas apprécié les petits jeux sadiques et blasphématoires de ce jeune homme de bonne famille. En dehors d’une mauvaise expérience de tournage avec Abdellatif Kechiche, jamais elle n’avait vécu un tel enfer... Jeanne Testard gagne sa vie en fabriquant des éventails, mais n’est pas farouche pour autant. De temps à autre, elle passe la nuit avec un client que lui présente la du Rameau, une mère maquerelle de Montmartre.

Verges, martinets et gravures pornographiques

Le 19 octobre 1763, elle se présente aux autorités de police parisiennes pour effectuer une déposition effarante, scandaleuse. Consignée par écrit, elle nous est parvenue. Jeanne y explique que, la veille, la maquerelle lui avait proposé d’accompagner un jeune homme bien sous tous rapports - elle le nomme "l’inconnu" -, prêt à débourser deux louis pour une nuit de plaisir. L’inconnu, donc, la fait monter dans une voiture de location qui les dépose devant la petite maison de la rue Mouffetard.

Sade la conduit au premier étage dans une pièce qu’il referme à clef derrière lui. Il lui demande alors si elle est croyante et, comme elle répond par l’affirmative, l’homme réplique par des injures et des blasphèmes horribles "en disant qu’il n’y avait point de dieu, qu’il y en avait fait l’épreuve, qu’il s’était manualisé jusqu’à pollution dans un calice". Ce n’est qu’un début. Jeanne affirme encore que son drôle de client se vante d’avoir glissé deux hosties dans le sexe d’une fille avant de lui avoir fait l’amour en lâchant : "Si tu es Dieu, venge-toi !" Après quoi l’inconnu la fait passer dans la pièce voisine dont les murs sont couverts de verges, de martinets, de christ en croix et en estampes. Tout cela au milieu de dessins et de gravures pornographiques. C’est alors qu’il lui demande de le fouetter avec un martinet en fer rougi au feu et qu’il lui rendra la pareille avec le fouet qu’elle choisira. Elle refuse énergiquement, ce qui le met dans une forte colère.

Masturbation

De rage, il se masturbe sur un christ en ivoire jeté à terre. Sade ordonne alors à la prostituée de piétiner un crucifix, sinon il la perce de son épée. Comment faire autrement ? Elle s’exécute. En revanche, elle refuse absolument de se faire un lavement pour en répandre le produit sur le Christ. Durant toute la nuit, il lui lit des poèmes blasphématoires soi-disant écrits par un de ses amis libertins. Au petit matin, Sade relâche Jeanne Testard, affolée, en lui faisant promettre de revenir le dimanche suivant. Elle devra alors se rendre à l’église Saint-Médard pour récupérer une hostie et se la foutre au fond du vagin, comme l’autre prostituée. Enfin, l’inconnu lui fait jurer de ne rien révéler de leur nuit.

Mais Jeanne est tellement choquée qu’elle s’empresse de tout raconter à la maquerelle du Rameau venue la chercher chez Sade. Aussitôt, les deux femmes décident de se rendre au bureau du lieutenant général de la police de Paris, monsieur de Sartine, pour dénoncer le comportement blasphématoire de celui qui reste un inconnu. Comme le responsable de la police parisienne est absent, elles vont trouver l’inspecteur Marais, chargé de la police des moeurs, mais celui-ci est également introuvable. On le dit parti sur les traces de Fleur Pellerin qui aurait avoué n’avoir jamais lu de livre...

Finalement, c’est l’adjoint de Marais qui les reçoit et incite à consigner une déposition devant un avocat du Parlement. Cette démarche d’aller trouver la police pour dénoncer un client est pour le moins étonnante de la part d’une prostituée occasionnelle, surtout accompagnée de la mère maquerelle. Dans cette affaire, Sade n’a ni abusé sexuellement de Jeanne ni fait preuve d’une violence exagérée. Il y a donc là une raison qui nous échappe. Est-ce que Sade était déjà sous surveillance à cause de son comportement extravagant, choquant ? Est-ce que la maquerelle sert d’indicatrice à l’inspecteur Marais ? Tout est possible.

Désespoir

Après la déposition de Jeanne Testard, la police enquête durant neuf jours, rassemblant de nouveaux témoignages sur la conduite sacrilège de Sade. D’autres filles publiques rapportent des histoires similaires s’étant produites dans la même maison. Sartine envoie le dossier au ministre d’État monsieur de Saint-Florentin, qui alerte le roi en lui conseillant de manifester une grande rigueur. C’est ainsi que, le 29 octobre 1763, le divin marquis est cueilli à son domicile parisien. Dès son arrivée au donjon de Vincennes servant de prison, Sade demande du papier, de l’encre et une plume. Sa première lettre est pour le lieutenant général de la police Sartine. Ce n’est plus le Sade blasphémateur et impérieux qui rédige, mais une pauvre brebis égarée qui réalise qu’elle peut tout perdre : sa liberté, son épouse et l’argent de celle-ci. Il faut dire qu’il n’est marié que depuis cinq mois et que, contrairement à ce sadique de Maradona, il n’a jamais frappé son épouse ! Alors, dans son billet, il se fait suppliant, prie son correspondant d’étouffer le scandale.

Sade envoie aussi une lettre à son geôlier Guyonnet pour qu’il prévienne son épouse : "Je vous en supplie, Monsieur, ne me refusez pas de voir la personne la plus chère que j’ai au monde. Si elle avait l’honneur d’être connue de vous, vous verriez que sa conversation bien plus que tout est capable de remettre dans le bon chemin un malheureux dont rien n’égale le désespoir de s’en être écarté."

Petits amusements

Décidément, le marquis est prêt à tout pour apitoyer ses geôliers. Nouvelle lettre à Sartine le 2 novembre : "Monsieur, je ne me plains point de mon sort ; je mériterais la vengeance de Dieu, je l’éprouve ; pleurer mes fautes, détester mes erreurs est mon unique occupation. Hélas ! Dieu pouvait m’anéantir sans me donner le temps de les reconnaître et de les sentir, que d’action de grâce ne dois-je pas lui rendre de me permettre de rentrer en moi-même. Donnez-m’en les moyens, je vous en prie, Monsieur, en me permettant de voir un prêtre." Cette comédie de la dévotion ne porte pas vraiment ses fruits. Le ministre Saint-Florentin, qui est tenu au courant des simagrées de Sade, refuse toute faveur. Même les deux Femen envoyés auprès de François Hollande n’obtiennent rien...

Finalement, le 13 novembre, Louis XV ordonne la libération de Sade après seulement deux semaines d’emprisonnement à la suite de l’intervention de son beau-père. À la condition qu’il rejoigne immédiatement Échauffour, la résidence de ses beaux-parents, et qu’il y reste sous la surveillance de l’inspecteur Marais. La queue entre les jambes, Sade retrouve son épouse Renée, qui accepte stoïquement de reprendre la vie commune. Durant tout l’hiver, le marquis se morfond. Il adresse des courriers à son oncle l’abbé, l’assurant qu’il peut être certain qu’il ne se remettra plus dans une situation aussi terrible. Petit menteur. Bientôt, le divin marquis reprendra ses petits amusements qui le conduiront de nouveau en prison en avril 1769. Voir l’éphéméride du 3 avril.
C’est également arrivé un 29 octobre

1981 - Décès de Georges Brassens à 60 ans.

1969 - Premier message échangé sur le réseau Arpanet, l’ancêtre d’Internet.

1967 - Création de la comédie musicale rock Hair à Broadway.

1965 - Enlèvement, à Paris, de Mehdi Ben Barka, leader de l’opposition marocaine.

1960 - Cassius Clay gagne son premier combat de boxe professionnel.

1959 - Le scénariste René Goscinny et le dessinateur Albert Uderzo donnent naissance à Astérix.

1956 - L’armée israélienne envahit le Sinaï, début de la crise de Suez.

1901 - Leon Czolgosz, assassin du président américain William McKinley, est exécuté sur la chaise électrique.

1863 - Fondation de la Croix-Rouge.

1787 - Première de Don Giovanni de Mozart, à Prague.

1567 - La conspiration de Meaux déclenche la seconde guerre de religion.

1390 - Premier procès en sorcellerie à Paris. Jugée par le Parlement, Jeanne de Brigue sera brûlée vive


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie