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29 décembre 1898. Après avoir dévoré 140 villageois et ouvriers, le lion mangeur d’hommes est abattu.

lundi 29 décembre 2014

Le colonel Patterson n’a pas eu la tâche facile avec cet animal qui terrorisait toute une région du Kenya.

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le lieutenant-colonel Patterson tire et tire encore. Le lion encaisse et refuse de mourir. Il est de la race des NKM à Paris. Le voilà qui ne bouge presque plus. Un battement de cil, un tremblement de la patte. Les babines retombent sur les crocs énormes. Son bourreau approche, le croyant à l’agonie. Mais le monstre revient à la vie. Il mobilise ses forces pour une dernière charge. Deux balles le terrassent définitivement. Ainsi meurt, le 29 décembre 1898, le plus féroce lion mangeur d’hommes de tous les temps. Avec la complicité de son compagnon abattu trois semaines plus tôt, il est accusé d’avoir dévoré cent quarante hommes en dix mois. Presque autant que Patricia Kaas au mieux de sa forme... Pour au moins 28 d’entre eux, c’est sûr et certain, car il s’agit des ouvriers oeuvrant à la construction du pont ferroviaire franchissant la rivière Tsavo, au Kenya.

Une telle boulimie dépasse l’entendement. Il est vrai que les victimes sont exclusivement des ouvriers indiens et des villageois africains. Pas de quoi attraper du cholestérol. Pour autant, la Compagnie britannique impériale d’Afrique de l’Est n’apprécie pas la perte de ses ouvriers. C’est que la construction du pont prend du retard ! Terrorisés, les Indiens refusent de travailler. Presque chaque nuit, les deux mangeurs d’hommes ont pris l’habitude de s’introduire sous les tentes comme s’ils étaient aux Restos du coeur... Rien ne les arrête, ni les barrières d’épines disposées autour des tentes ni les grands feux allumés toute la nuit.

Une traînée de sang

Responsable du chantier de construction depuis le printemps, le lieutenant-colonel Patterson, 31 ans, décide d’agir. Ayant longtemps vécu en Inde où il chassait le tigre, il pense pouvoir ne faire qu’une bouchée des deux fauves. Effectivement, il abat sans trop de mal le premier, le 6 décembre. C’est une énorme bête qui ne porte pas de crinière comme tous les mâles de cette zone. En revanche, son compagnon donne un mal de chien à Patterson qui n’en vient à bout qu’après une traque qui aurait rendu fou Rambo. Car Simba est un malin. Après la mort de son ami, il perçoit le danger. Pendant quelques jours, il adopte un profil bas. Mais la faim se faisant sentir, le lion égorge un couple de chèvres appartenant à un inspecteur des travaux. Dès la nuit suivante, Patterson se met en embuscade et utilise comme appât trois nouvelles chèvres attachées à un tronçon de rail qui pèse 120 kilos.

L’attente est longue. Le mangeur d’hommes attend l’aube pour passer à l’attaque. Il saisit une des trois chèvres, qu’il emporte aussitôt dans sa gueule, traînant derrière lui les deux autres et le rail. Dans le noir, Patterson lâche plusieurs coups de feu au jugé. Le père Seguin l’engueule, car il n’a réussi à atteindre qu’une chèvre... Le colonel attend le jour pour se lancer à la poursuite du fauve, qu’il retrouve planqué dans un buisson épineux, en train de déguster sa proie. Ne supportant pas d’être dérangé durant son repas, le lion charge avant de s’évanouir dans la nature. Patterson ne le poursuit pas, mais demande à ses boys de construire une plateforme pour se mettre à l’affût. Le fauve reviendra certainement achever son repas. La longue attente commence. Soudain, son porte-flingue Mahina le tire de sa torpeur. "Sher ! Le lion !" souffle-t-il. Patterson lâche deux balles dans l’épaule de l’animal, qui s’enfuit en laissant une traînée de sang derrière lui. Il suffit de la suivre, mais bientôt le sang disparaît. Le lion s’est évaporé, une fois de plus.

Indestructible

Durant dix jours, Simba ne fait plus parler de lui, au point qu’on le pense mort de ses blessures. Le 27 décembre, en pleine nuit, un cri effrayant réveille le camp des ouvriers. Un ouvrier dormant dans un arbre est attaqué par le lion. Patterson n’ose pas sortir, car il fait nuit noire. Il se borne à tirer en l’air pour effrayer la bête, qui repart à jeun. La nuit suivante, il se planque dans l’arbre, espérant le retour du monstre affamé. Effectivement, le revoilà qui rampe, utilisant chaque touffe de végétation pour se planquer. C’est un pro de la chasse à l’homme, formé au GIGN... Le gastronome de la savane aimerait bien goûter la chair d’un Anglais. Il paraît que cela a le goût du veau, une viande blanche... Patterson attend que le fauve soit à sept mètres pour lui loger trois balles dans la poitrine. Incroyable, l’animal ne se couche pas. Il est indestructible ! Plus résistant que Paul McCartney, plus obstiné que Line Renaud... L’animal blessé rugit avant de faire demi-tour. Le colonel tire encore trois balles qui atteignent leur cible sans le tuer pour autant.

Méfiant, Patterson attend l’aube pour se lancer à la poursuite de sa proie, accompagné du fidèle Mahina et d’un pisteur. Il n’y a qu’à suivre de larges plaques de sang. Ils n’ont pas parcouru quatre cents mètres qu’un féroce rugissement les immobilise. Le monstre est juste devant eux, montrant ses crocs. Patterson tire. Laissons-lui la parole : "Instantanément, il bondit et nous charge avec détermination. Je tire de nouveau et le couche à terre, mais en une seconde il s’est relevé et court vers moi aussi vite qu’il le peut malgré ses blessures. Un troisième tir n’a, apparemment, aucun effet. Aussi, j’ai tendu la main vers mon fusil Martini, espérant le stopper avec. À mon grand désespoir, il n’était pas là. La terreur de la charge soudaine avait été trop pour Mahina, et tous deux, lui et la carabine, étaient en train de grimper à un arbre. Dans cette circonstance, il n’y avait rien d’autre à faire que de leur emboîter le pas, ce que j’ai fait sans perdre de temps." Patterson peut alors s’emparer de la Martini pour tirer sur le lion, qui, cette fois, s’écroule sans bouger. Encore une ruse apprise avec le général Bigeard. Quand le colonel s’approche, le lion tente une dernière charge, mais une balle dans la poitrine et une autre en pleine tête le calment définitivement, cette fois-ci.

Goût pour la chair humaine

L’examen du cadavre montre six trous de balle. L’animal mesure 2,70 m de la pointe du nez au bout de la queue, pour 1,18 m de haut. Un monstre. Tout comme son compère tué quelques semaines plus tôt. Aussitôt, Patterson est fêté comme un héros par les ouvriers et les villageois qui lui remettent un bol en argent où ils ont fait graver : "Monsieur, Nous, vos contremaître, chronométreurs, maîtres et ouvriers, vous présentons ce bol en témoignage de notre gratitude pour le courage dont vous avez fait preuve en tuant deux lions mangeurs d’hommes au péril de votre vie et en nous préservant ainsi de l’atroce destinée d’être dévorés par ces terribles monstres qui ont surgi sous nos tentes la nuit et nous ont pris nos camarades ouvriers." Des télégrammes de félicitations lui arrivent du monde entier. Le Premier ministre britannique évoque l’événement devant la Chambre des lords. Le prince Charles applaudit des deux oreilles...

Reste à savoir pourquoi ces deux mâles pacsés ont pris goût à la chair humaine. Plusieurs hypothèses ont été avancées. La première évoque la disparition de leurs proies habituelles à cause d’un changement de végétation : l’extermination des éléphants, grands consommateurs d’arbustes, s’est traduite par la disparition de la savane, d’où la raréfaction des herbivores constituant le menu habituel des fauves. La deuxième repose sur un souci de dentiste : l’examen des cadavres montre que les deux mangeurs d’hommes avaient des problèmes dentaires qui les empêchaient peut-être de chasser du gibier plus coriace qu’un homme. La troisième hypothèse rappelle la présence dans cette région de cadavres mal enterrés, souvent ceux d’esclaves. Une bonne viande facilement consommable à laquelle les deux lions auraient pris goût. Quoi qu’il en soit, les deux lions abattus, les ouvriers peuvent se remettre à l’ouvrage. La construction du pont est achevée le 7 février 1899.


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