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26 juin 1794. Durant la bataille de Fleurus, les Français espionnent l’ennemi depuis un ballon.

vendredi 26 juin 2015

Dominant les combats, le gal Morlot peu signaler à son commandant en chef les défaillances des Autrichiens.

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

La bataille de Fleurus du 26 juin 1794 sonne le début de la guerre aérienne. Pour la première fois, des soldats grimpent à l’assaut du ciel pour vaincre l’ennemi. Il ne s’agit pas encore de combattre, mais d’espionner en utilisant un ballon à hydrogène. Est-ce cela qui permet aux Français de vaincre des Autrichiens, en supériorité numérique ? Difficile d’être affirmatif à cent pour cent. Mais cela se révèle très utile quand, par exemple, le général Morlot, embarqué à bord de la nacelle, repère la défaillance des troupes du général Championnet. Des renforts peuvent aussitôt lui être envoyés pour rattraper la situation. Depuis le sol, cette faiblesse était passée inaperçue, cachée par la fumée des incendies.

Les premiers vols en montgolfière ne sont pas anciens. Ils datent de dix ans seulement, à Paris. Malgré la jeunesse de cette invention, le chimiste Louis-Bernard Guyton de Morveau, membre du Comité du salut public, convainc ses pairs en octobre 1793 de commander la construction d’un ballon neuf "aisément utilisable en campagne et capable d’emporter deux observateurs". Le physicien Jean-Marie-Joseph Coutelle, secondé par Nicolas-Jacques Conté (l’inventeur du crayon), s’y colle dans l’ancien domaine royal de Meudon. En quatre mois, le premier ballon est construit en taffetas recouvert d’un vernis. D’un diamètre de neuf mètres, il est gonflé avec de l’hydrogène fabriqué sur place à l’aide de fourneaux. Une nacelle permet d’emporter deux passagers. L’un pour assurer la manoeuvre, l’autre pour effectuer les observations. À trois cents mètres d’altitude, l’Entreprenant, tel est son nom, permet d’observer jusqu’à 29 kilomètres à la ronde. Dès le 2 avril 1794, la première compagnie d’aérostiers est placée sous le commandement de Coutelle. Fin mai, elle est envoyée à Maubeuge, assiégée par l’ennemi.

"Effet moral"

Dès son arrivée, Coutelle fait construire le fourneau pour fabriquer l’hydrogène. Le ballon est gonflé en une cinquantaine d’heures. Le 2 juin, l’Entreprenant entame une série d’ascensions avec à son bord Coutelle et un officier de l’état-major pour épier ce que trame l’ennemi derrière les murailles de la ville. Une fois, le ballon est frôlé par des boulets. Sa vue terrorise l’ennemi. "L’effet moral produit dans le camp autrichien par ce spectacle si nouveau fut immense ; il frappa surtout les chefs qui ne tardèrent pas à s’apercevoir que leurs soldats croyaient avoir affaire à des sorciers", note Coutelle dans ses mémoires. Finalement, les Autrichiens lèvent le camp. Le ballon a réussi son baptême du feu.

Le 20 juin, le général Jourdan, commandant de l’armée française, appelle l’Entreprenant à la rescousse devant Charleroi, vers laquelle converge l’armée autrichienne. Comment l’y transporter ? En effet, il ne peut pas être question de le dégonfler : la fabrication de l’hydrogène est une opération trop complexe et trop longue. Aussi, le ballon est tiré comme un toutou au bout de sa laisse sur 45 kilomètres. Pour guider les soldats accrochés à une vingtaine de filins, Coutelle s’installe dans la nacelle. Il faut faire route de nuit pour ne pas être repéré par l’ennemi. Après quinze heures de marche forcée avec le vent qui se lève, les aérostiers rejoignent l’armée républicaine déployée en arc de cercle sur les hauteurs de Fleurus qui dominent Charleroi. Juste à temps, car les Autrichiens sont déjà là.

Informations capitales

L’ennemi passe à l’attaque le 26 juin avant l’aube. Dès la levée du jour, Coutelle, accompagné par le général Morlot, prend place dans la nacelle qui s’élève au-dessus du champ de bataille. Le militaire note ses observations sur des feuilles transmises au sol dans un petit sac en cuir qui glisse le long d’un câble. La vision des deux aérostiers couvre tout le champ de bataille. C’est impressionnant. Il fait un soleil d’enfer et le vent se lève vers midi. La nacelle tangue, compliquant les observations. Durant huit heures, ils scrutent les mouvements des Autrichiens, renseignant l’état-major français. Des prisonniers autrichiens et hollandais qui passent sous le ballon tendent un poing rageur dans sa direction : "Espions. Pendus si vous êtes pris !" On leur tire dessus, sans les atteindre. Vers 15 heures, l’ordre est donné au ballon d’atterrir. Les aérostiers sont sur le point de plier bagage quand il leur est demandé de reprendre l’air. Vers 17 heures, coup de théâtre, ce sont les Autrichiens qui battent en retraite. La bataille est gagnée. L’ennemi fuit !

Au cours des semaines qui suivent, l’Entreprenant accompagne l’armée dans ses déplacements, continuant à lui fournir des informations capitales sur les mouvements de l’ennemi. D’autres ballons sont construits, le Vétéran, le Précurseur, le Svelte, le Télémaque, l’Hercule, l’Intrépide. Ils opèrent jusqu’en 1796. L’année d’après, Coutelle persuade Bonaparte de prendre le ballon en Égypte. Mais lors de la bataille d’Aboukir, celui-ci est détruit. Par la suite, la guerre de mouvement très rapide de Napoléon s’accorde mal de ballons très statiques. Les deux compagnies d’aérostiers sont mises à pied le 28 janvier 1799. Les ballons ne reprendront l’air qu’une quarantaine d’années plus tard.


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