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24 août 1786. Antoine Parmentier offre une pomme de terre à Louis XVI pour en faire la pub.

lundi 24 août 2015

Ainsi, l’agronome remercie le roi de le soutenir dans ses efforts d’imposer le tubercule aux Français.
Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la brioche !" Tout le monde sait, aujourd’hui, que Marie-Antoinette n’a jamais prononcé cette phrase inventée par Rousseau. En revanche, scoop mondial, nous pouvons vous révéler que le 24 août 1786, recevant en compagnie de son époux Antoine Parmentier, la reine pense très fort : "Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la patate !" Car le couple royal n’hésite pas à mouiller sa chemise - de dentelle - pour aider l’agronome à faire la promotion de la pomme de terre auprès des Français très méfiants.

Ce jour-là, le pharmacien-agronome offre à Louis XVI et à Marie-Antoinette les premières fleurs de pomme de terre cueillies dans le champ mis à sa disposition par le roi de France, dans la plaine des Sablons, à Neuilly. Le roi est d’excellente humeur. "Donnez-moi la main et embrassez la reine !" lance-t-il à Parmentier, qui n’en demandait pas tant. Sur ce, Louis XVI détache une fleur pour la mettre à sa boutonnière, et en fixe une autre sur le chapeau de Marie-Antoinette. Madame de Fontenay en est verte de jalousie...

Le jour même, on sert à la table royale un plat de "parmentières". Louis XVI possède peut-être tous les défauts de la terre, mais il a au moins la qualité de croire en la science. Avant beaucoup d’autres, il a compris la place capitale que peut prendre la pomme de terre dans l’alimentation en sauvant ses sujets des famines récurrentes. Et dire que pour le remercier, les Français lui couperont la tête.

La pomme de terre aux cochons

À la fin du XVIIIe siècle, près de 250 ans après son introduction en Europe, la pomme de terre n’a toujours pas bonne presse en France. Les paysans regardent d’un oeil torve cette plante qui s’épanouit sous terre, dans le domaine du diable, et pas sous l’oeil de Dieu comme les céréales. Sans compter qu’elle appartient à une famille de plantes légèrement toxiques. En Europe, ce sont les Irlandais qui l’adoptent les premiers à grande échelle. En fait, ils n’ont pas le choix. C’est ça ou crever de faim, car les Anglais, très fair-play comme d’habitude, accaparent tout le blé irlandais. Peu à peu, la plante conquiert l’Autriche, l’Allemagne, la Suisse, et même l’est de la France.

À la fin du XVIe siècle, le célèbre agronome Olivier de Serres la cultive dans le Vivarais (aujourd’hui, l’Ardèche). Puis, elle gagne le Lyonnais, le Dauphiné et la Franche-Comté. Mais les paysans la réservent exclusivement à leurs cochons, l’assimilant à une herbe de sorcières. Ils la croient capable de transmettre la lèpre. Et l’Église, qui se désespère des grandes disettes, pensez-vous qu’elle incite à sa culture ? Pas du tout. Dieu n’aimerait-il pas les frites ? Ce n’est pas le problème, c’est plutôt une simple question de pognon : la patate rapporte une moindre dîme à l’Église ! Aussi, les curés n’hésitent pas à la débiner, rappelant dans leurs prêches que la pomme de terre n’est pas mentionnée dans la Bible.

Levée de l’interdiction à la consommation

Pharmacien des armées, Antoine Parmentier découvre la pomme de terre lors de son emprisonnement en Westphalie durant la guerre de Sept Ans (1756-1763). En effet, les sympathiques Allemands nourrissent alors leurs prisonniers français avec la même bouillie de pommes de terre qu’ils servent à leurs cochons. C’est le meilleur service qu’ils pouvaient leur rendre, car ceux-ci mangent à s’en faire péter la sous-ventrière.

En 1771, quand l’Académie des sciences de Besançon lance un concours intitulé : "Quels sont les végétaux qui pourraient être substitués en cas de disette à ceux que l’on emploie communément et quelle en devrait être la préparation ?" Parmentier s’empresse de remettre un mémoire pour souligner les vertus de la pomme de terre. Il gagne le concours haut la main en préconisant la fabrication de pains de pomme de terre. En 1772, juste après sa nomination comme apothicaire en chef de l’hôtel des Invalides, la Faculté de médecine de Paris déclare la pomme de terre sans danger, ce qui fait lever l’interdiction du Parlement de Paris qui frappait sa consommation depuis 1748.

Champs gardés par des soldats

Parmentier se met à cultiver la patate sur un terrain loué à des religieuses près des Invalides. Il organise des dîners où sont invités des scientifiques, tels Benjamin Franklin et Lavoisier, à qui il propose une vingtaine de plats à base des tubercules. Il publie même un livre de recettes en 1777 intitulé "Avis aux bonnes ménagères des villes et des campagnes sur la meilleure manière de faire leur pain". Mais cela ne suffit pas à convaincre les Français de mettre la patate sur leur table et les paysans de la cultiver. En 1785, expulsé par les religieuses, Parmentier cherche un nouveau terrain pour planter ses tubercules. Louis XVI, qui soutient les efforts des agronomes en faveur de la pomme de terre, lui octroie deux arpents de terre dans la plaine des Sablons, à Neuilly, un site autrefois utilisé comme champ de manoeuvre par les troupes. Le terrain est pauvre, mais cela n’est pas gênant pour la culture des pommes de terre.

C’est alors que Parmentier a une idée de génie : pour faire croire que ses "parmentières" sont un mets de choix réservé à la table du roi et des plus hauts seigneurs, il les fait garder par des soldats durant le jour. Seulement, il prend soin de supprimer toute garde pendant la nuit. Du coup, de petits voleurs s’introduisent dans le champ pour voler les pommes de terre si précieuses. C’est ainsi que, peu à peu, la pomme de terre acquiert ses lettres de noblesse. Lors de la première floraison, Parmentier offre donc un bouquet des magnifiques fleurs blanches au roi et à la reine. Lors de la Révolution, Parmentier est d’abord regardé d’un oeil suspicieux en raison du soutien de Louis XVI. Peu à peu, il regagne la faveur du peuple et lance une deuxième révolution, celle qui porte la pomme de terre précieuse sur la table des Français.


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