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22 mai 1271. Les ossements de Saint-Louis, rapportés de Tunis, sont inhumés à Saint-Denis

jeudi 21 mai 2015

Après sa mort durant la croisade, le corps du roi est bouilli pour récupérer ses ossements moins périssables.


Jamais le corps d’un roi de France n’a été autant déchiqueté, éparpillé, disséminé que celui de Saint Louis. Le coeur est à Saint-Denis, sa viande en Sicile, tandis que les os de son squelette sont répartis entre des dizaines de cathédrales, de monastères et de musées en Europe, et même en Amérique du Nord. Ici, un humérus, là, une dent, et encore là, une côte. Si, aujourd’hui, Louis IX voulait ressusciter avec un corps présentable, il lui faudrait accomplir un marathon de plusieurs milliers de kilomètres pour reconstituer intégralement son squelette.

Le 22 mai 1271, les restes de Louis IX, mort devant Carthage lors de sa croisade, arrivent en grande pompe à la basilique de Saint-Denis pour y être inhumés. Le cercueil est porté par le nouveau roi de France, Philippe III le Hardi, et ses frères. Tous les plus hauts dignitaires civils et religieux sont présents dans le cortège, tous les corps de métier sont représentés. L’émotion de la foule immense est à son comble. C’est alors que se produit un contretemps incroyable : le cortège se heurte à la porte close de l’abbaye de Saint-Denis. Son abbé refuse d’ouvrir parce que l’archevêque de Sens et l’évêque de Paris portent leurs ornements sacerdotaux. Dans l’abbaye, c’est lui le patron ! Les curés n’ont pas à arborer leurs vêtements liturgiques. Les négociations sont longues. Philippe III le Hardi se garde d’intervenir, laissant les hommes d’Église s’étriper. Finalement, les deux prêtres acceptent d’abandonner leurs chasubles pour que la cérémonie puisse se dérouler. Mais l’autre ne l’emportera pas au paradis... Après une longue et émouvante cérémonie, la dépouille de Louis IX est en fin de compte inhumée sous une simple dalle de pierre.

Comme un gigot de 7 heures

Quand on parle de "dépouille", c’est un bien grand mot. En réalité, les restes du roi de France consistent en un paquet d’os rapporté d’Afrique du Nord. Pour ramener le corps complet, il eût fallu le momifier, or, aucun spécialiste de cet art égyptien ne l’avait suivi durant sa croisade. Il était exclu de conserver Saint Louis tel quel dans un cercueil. Alors, l’enterrer en terre musulmane ? Hors de question ! Son frère Charles d’Anjou n’a pas vraiment le choix. La seule partie du corps non périssable pouvant être transportée est le squelette. Les chirurgiens commencent par prélever le coeur et les entrailles pour les disposer dans deux pots séparés. Ils jettent ensuite le reste du corps dans un grand chaudron contenant du vin et de l’eau salée. Après plusieurs heures de cuisson, la chair se détache toute seule des os comme sur un gigot de sept heures. Les ossements sont mis à sécher au soleil avant d’être pieusement enfermés dans un sac en cuir. Quant à la chair, elle est déposée dans une urne close. Voilà Louis IX paré pour un long voyage vers la basilique de Saint-Denis.

Malheureusement, il n’y arrivera pas en entier, car on se dispute déjà ses bons morceaux. Les chairs sont inhumées à proximité de Palerme, dans la cathédrale de Monreale consacrée quatre ans plus tôt. Seuls les ossements et le coeur prennent donc la route de Paris, atteint le 21 mai 1271 après plusieurs mois de trajet. Le lendemain, c’est donc l’inhumation à l’abbaye de Saint-Denis, mais le repos éternel n’est pas encore promis à celui qui sera canonisé en 1297.

Trafics de reliques

Déclaré saint, Louis IX acquiert une valeur "marchande". Au Moyen Âge, le trafic des reliques est un commerce en pleine expansion. Le 25 août 1298, Philippe le Bel expose les ossements de son papy dans une superbe châsse à Saint-Denis. Mais cela ne lui suffit pas, il veut installer celle-ci dans son palais de la Cité qu’il a agrandi et embelli. Il faut l’autorisation du pape. Celui-ci la donne, sous la condition qu’un bras ou un tibia soit laissé à l’abbaye de Saint-Denis. Pourtant, l’abbé de cette dernière refuse de se laisser dépouiller. Saint Louis restera là ! En 1305, le roi de France revient à la charge auprès du nouveau pape, Clément V. Celui-ci coupe la poire en deux : il lui accorde le crâne, mais demande que le menton, la mâchoire inférieure et les dents restent à Saint-Denis. Tope là ! Le transfert du crâne a lieu le 17 mai 1306. L’évêque de Paris, qui veut sa relique, reçoit une côte pour l’exposer à Notre-Dame. Tandis que le coeur de Saint Louis aurait été déposé à la Sainte-Chapelle.

Au cours du siècle qui suit, c’est la grande distribution. Le don de reliques est une façon de se concilier les bonnes grâces d’un ami ou d’un ennemi. Le roi de Norvège reçoit des phalanges, les dominicains de Paris et de Reims, les abbayes de Pontoise et de Royaumont récupèrent des fragments de côte. Lors de leur passage à Paris, la reine Blanche de Suède et l’empereur Charles IV se voient remettre divers fragments. Lorsqu’en 1392 les ossements restant à Saint-Denis sont déposés dans une nouvelle châsse, on en profite pour distribuer trois côtes : une pour le pape, une pour le duc de Berry, et la dernière pour le duc de Bourgogne. Les prélats présents à la cérémonie reçoivent pour leur peine un morceau d’os, à charge de se le partager entre eux. Plus tard encore, des éclats sont remis à Louis VII de Bavière. Quelques mois après l’assassinat d’Henri IV, son épouse, Marie de Médicis, reçoit à son tour un os, mais le restitue lors du sacre de son fils Louis XIII. Six ans plus tard, sa belle-fille, Anne d’Autriche, 15 ans, est furieuse de ne recevoir qu’un morceau de côte, aussi l’année d’après a-t-elle droit à sa côte entière. Et elle fait obtenir à ses amis jésuites encore une côte et même un os du bras.

Seule sa mâchoire est sauvée

Lorsqu’en 1793 les sans-culottes viennent vider les tombeaux de l’abbaye de Saint-Denis, les reliquaires contenant les ossements de Saint Louis sont emportés pour être fondus. Seule la mâchoire est sauvée et se trouve aujourd’hui encore dans le trésor de Notre-Dame. Tout le reste, y compris le crâne que Louis XVI avait restitué à Saint-Denis, a disparu. Où ? Dieu seul le sait et il n’est pas près de parler. Mais il est tout à fait possible que quelques-uns des révolutionnaires qui ont participé au sac de l’abbaye aient emporté en douce quelques morceaux d’os. Fouillez vos greniers !


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