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18 avril 1758. L’aventurier Giacomo Casanova dirige le premier tirage de la loterie parisienne

samedi 18 avril 2015

Réfugié à Paris après sa fuite de Venise, l’aventurier italien fonde une loterie pour financer la construction de l’École militaire.

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 18 avril 1758, une foule nombreuse se presse dans le magasin de l’Arsenal, situé derrière la Bastille. Un homme âgé d’une trentaine d’années, grand, magnifiquement vêtu, attire tous les regards, en particulier celui des femmes. Il parle français avec un délicat accent italien. Son nom vole de bouche en bouche : Giacomo Casanova. L’homme qui s’est évadé des Plombs de Venise, la prison d’où il est impossible de s’échapper ! Marcela Iacub, à la recherche d’un prochain sujet de livre, rôde autour de lui. Christine Boutin, qui retrouve son âme de midinette, ouvre le premier bouton de son corsage... Mais rien n’y fait : aujourd’hui, le diable italien n’a pas l’humeur à la bagatelle. Il est venu à l’Arsenal chercher la fortune de l’or, et pas celle du coeur.

En effet, comme des centaines de Parisiens, il est venu assister au premier tirage de la loterie royale de l’École militaire, dont il est l’un des promoteurs. Une immense boîte ronde (imaginez une boîte à camembert) montée sur un axe est disposée sur une estrade. Un employé y introduit 90 billets numérotés de 1 à 90, puis la fait tourner longuement. La foule est impatiente. Chacun espère avoir gagné. On fait venir un enfant sur l’estrade pour extraire, à l’aveugle, cinq billets de la roue. Ils constituent le premier tirage gagnant de la loterie royale militaire, dont la recette servira à financer la construction de l’École militaire de Paris. Le tirage ne nous est pas connu.

Spécialiste du tirage

Aussi stupéfiant que cela paraisse, l’existence de cette loterie, préfigurant notre Loto actuel, doit beaucoup au grand séducteur Casanova, le spécialiste du tirage. Aujourd’hui, on ne se souvient plus que du grand nombre de ses conquêtes féminines, mais il était bien plus qu’un séducteur compulsif. C’est aussi un violoniste, un écrivain, un magicien, un espion, un joueur professionnel, un financier et un superbe manipulateur. Le modèle d’un futur patron du FMI... Il s’intéresse à la loterie de l’École militaire, par hasard. Quelques mois après son évasion des Plombs, il vient se réfugier à Paris, fauché comme les blés. Il vit d’expédients et de petites combines. Il monte plusieurs arnaques pour alléger la bourse de vieilles aristos ou bourgeoises qu’il séduit. C’est ainsi qu’il croise Sarkozy dans l’antichambre de Liliane Bettencourt...

Mais jouer les gigolos ne suffit pas à son train de vie dispendieux. "Je voyais que, pour parvenir à quelque chose, j’avais besoin de mettre en jeu toutes mes facultés physiques et morales, de faire connaissance avec des grands et des puissants, d’être le maître de mon esprit et de prendre la couleur de tous ceux auxquels je verrais que mon intérêt exigeait que je plusse", écrit-il dans ses mémoires. Alors, Casanova demande à être reçu par le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, avec qui il partageait, il y a peu, une maîtresse à Venise, le cardinal de Bernis. Celui-ci le reçoit à bras ouverts. Il lui fait rencontrer le contrôleur général des finances, monsieur de Boulogne, qui le présente à son tour au financier Pâris Duverney. Ce dernier cherche 20 millions de francs pour financer la construction de l’École militaire voulue par Louis XV et la marquise de Pompadour, afin d’assurer l’éducation de 500 gentilshommes sans fortune.

Culot extraordinaire

C’est ici qu’il faut parler de génie à propos de Casanova. Sans avoir la moindre idée de la façon de rassembler une telle fortune, il se vante auprès de Pâris Duverney de connaître un moyen pour obtenir non pas vingt millions de francs, mais cinq fois plus sans qu’il en coûte quoi que ce soit au budget royal. À ce moment-là, il mise sur sa grande imagination pour inventer rapidement un stratagème. Mais il n’a même pas à se donner cette peine, car son interlocuteur lui répond du tac au tac qu’il connaît déjà son plan et qu’il le lui prouvera, le lendemain, s’il accepte son invitation à dîner chez lui. Stupéfaction de l’Italien. Comment l’autre pourrait-il connaître son plan puisqu’il n’en a pas ? C’est la meilleure ! Dans ses mémoires, qu’il écrira bien plus tard, il note avoir alors pensé sur le moment : "Quand il me communiquera le sien, ce sera à moi de dire s’il a deviné ou non. Si la matière est à ma portée, je dirai peut-être quelque chose de nouveau ; n’y entendant rien, je garderai un mystérieux silence."

Le lendemain, Casanova se rend donc chez Pâris Duverney, où il dîne avec plusieurs financiers, dont un Livournais nommé Ranieri de Calzabigi. Celui-ci affirme qu’il a, avec son frère aîné, l’idée de financer la construction de l’École militaire avec le bénéfice d’une loterie basée sur le principe du loto de Gênes. Pâris Duverney interpelle Casanova : "C’est bien votre idée, n’est-ce pas ?" Celui-ci s’empresse d’acquiescer et même de faire quelques propositions pour améliorer la loterie. Casanova s’engage à plaider cette idée devant les représentants de l’État pour emporter une décision favorable. Grâce à son bagout et à son culot extraordinaire, deux arrêts du Conseil d’État des 15 août et 15 octobre 1757 autorisent la création d’une loterie pour financer les travaux de l’École militaire. Le principe d’une loterie royale est donc arrêté. Les billets seront vendus dans des bureaux de recette répartis dans tout Paris et son faubourg. Les joueurs miseront sur deux, trois, quatre ou cinq numéros, et les gagnants toucheront leur lot au Bureau général de la loterie, trois jours après le tirage. Pour le prix de ses services, Casanova reçoit en gestion six des bureaux de recette qui lui permettent de prélever pour lui 6 % des sommes jouées.

Succès

Mais cela ne lui suffit pas. Casanova a une bien meilleure idée pour se remplir davantage encore les poches. Il revend immédiatement cinq bureaux de recette pour un bénéfice immédiat de 10 000 francs. Il ne garde que celui de la rue Saint-Denis et fait savoir qu’il paiera lui-même les gains des gagnants dès le lendemain du tirage. Ceux-ci n’auront donc plus à attendre trois jours. C’est donc lui qui avancera la somme de sa poche. Grâce à ce coup de génie, les Parisiens se bousculent dans son bureau, à la grande colère des autres tenanciers de bureaux de recette. Lors du premier tirage, Casanova encaisse 40 000 francs de paris et en paie 18 000 à ses gagnants. Au passage, il se met 2 400 francs de commission dans la poche. Globalement, ce premier tirage est une réussite avec 2 millions de francs de paris pour un gain de 600 000. L’ancien secrétaire d’État au Budget Jérôme Cahuzac vient féliciter Casanova en lui glissant dans l’oreille une combine pour planquer son pognon en Suisse...

Lors du tirage suivant de mai, les joueurs se disputent pour remettre leurs paris à Casanova. Où qu’il aille dans Paris, on lui remplit les poches d’or. Mais cette fois, il a parmi ses joueurs un gagnant à 3 numéros à qui il doit donner 40 000 francs. Pour payer, les sommes jouées dans son bureau ne suffisent pas. Il lui faut emprunter. Dans ses mémoires, le Vénitien ne parle plus de la loterie au-delà de ce deuxième tirage. Sans doute a-t-il continué quelque temps à en retirer pas mal de gains, car il poursuit un train de vie fastueux. D’autres sources d’information font état de difficultés qui conduisent le Conseil de l’École militaire à se séparer des frères Calzabigi en juin 1759. Quoi qu’il en soit, Giacomo n’est pas en panne d’idées pour se créer d’autres sources de revenus. Il invente un loto grammatical, élabore un "projet d’une nouvelle méthode au bénéfice du loto de Rome". Il propose à Pâris Duverney de créer un impôt sur les successions collatérales. Qu’il s’agisse de gagner de l’argent ou de mettre une femme dans son lit, Casanova n’est jamais à court d’imagination.
C’est également arrivé un 18 avril

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