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11 février 1858. Marie fait une sale blague à Bernadette Soubirous dans une grotte de Lourdes.

mardi 10 février 2015

En ramassant du bois, la jeune fille aperçoit une dame blanche qui lui fait un signe. Miracle, la fortune de Lourdes est faite !

Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 11 février 1858, la petite Bernadeta Sobirós, 14 ans, part avec sa jeune soeur Marie, dite Toinette, et une amie, Jeanne, ramasser du bois. Qui alors pourrait se douter qu’elle a été choisie entre toutes pour fonder l’un des commerces les plus lucratifs de la chrétienté ? Le pèlerinage de Lourdes ! Ce jour-là, la Vierge, qui en a marre de se taper toutes les séries débiles de TF1, se dit : "J’irais bien me dégourdir les jambes sur Terre et apparaître à la petite Bernadette." Pendant ce temps, les trois jeunes pauvresses explorent la rive gauche du gave à la recherche de bois mort et d’os. Toinette et Jeanne franchissent l’eau glaciale du canal du Moulin et invitent Bernadette à les suivre. Mais elle hésite, ne voudrait pas de nouveau attraper mal. C’est que sa santé est fragile.

Un bruit soudain lui fait lever la tête. "Coumo u cop de bén", dira-t-elle ("comme un coup de vent", Bernadette connaît mal le français, elle utilise l’occitan gascon). Surprise, Bernadette regarde vers la grotte de Massabielle qui se trouve au-dessus d’elle et aperçoit une lumière douce qui nimbe une jeune fille vêtue de blanc et souriante. "J’aperçus une dame vêtue de blanc : elle portait une robe blanche, un voile blanc également, une ceinture bleue et une rose jaune sur chaque pied." Très kitsch. Il n’est pas encore question de Vierge. La mystérieuse apparition esquisse un signe de croix avant d’indiquer à Bernadette d’approcher. Tout en récitant son chapelet, celle-ci reste bouche bée, figée sur place. Ses deux compagnes sont trop loin pour apercevoir l’apparition, laquelle finit par s’évaporer dans le silence
La jeune fille se frotte les yeux. A-t-elle rêvé ? Elle cherche une caméra cachée. Mais, non, ce n’est pas une blague terrestre, la jeune Pyrénéenne a eu la première des dix-huit visions qui la visiteront jusqu’à l’été 1858. Dès qu’elle reprend ses esprits, elle court rejoindre sa soeur Toinette à qui elle raconte son expérience extraordinaire en lui faisant promettre de tenir sa langue. Bien entendu, celle-ci s’empresse de cafter à leur mère qui accueille la merveilleuse nouvelle en faisant voler le bâton pour punir les deux soeurs à l’imagination trop fertile. Mais Bernadette n’en démord pas. Elle a bien vu une jeune dame en blanc et tanne sa mère pour retourner à la grotte.

Carnavalades

Celle-ci finit par céder, et c’est ainsi que trois jours plus tard, le dimanche 14 février, Bernadette prend de nouveau le chemin de la grotte miraculeuse accompagnée par une douzaine d’amies, toutes curieuses de l’apparition. À peine Bernadette se met-elle à réciter son chapelet que sa nouvelle copine lui apparaît. Mais à elle seule. Ses amies ne voient rien. Alors, elle prend peur. Et si c’était le diable qui lui jouait un tour ? Elle jette devant elle de l’eau bénite, faisant simplement sourire la créature qui disparaît quand la petite Soubirous achève son chapelet. Ses compagnes s’interrogent. Leur amie délire-t-elle ? Ou bien a-t-elle réellement eu une vision ? Mais qui est cette dame en blanc ?

Le lendemain, la supérieure de l’école, mère Ursule, vient la trouver en pleine classe : "Tu as fini tes carnavalades ?" Les enfants se moquent d’elle. Une maîtresse la gifle : "Drôle ! Drôle ! Si tu retournes encore à la grotte, tu seras enfermée." La jeune fille ne se laisse pas démonter pour autant. Bientôt, elle se rend chaque jour au rendez-vous de sa dame blanche. Lors de sa troisième visite à la grotte, elle est accompagnée par la fille d’un huissier qui lui fait demander à l’apparition : "Voulez-vous avoir la bonté de mettre votre nom par écrit." Celle-ci rigole un bon coup et répond à Bernadette, qui est toujours la seule à la voir et à l’entendre : "Ce n’est pas nécessaire." Avant de demander à la jeune fille de la visiter chaque jour durant les quinze jours à venir.

Les visites s’enchaînent donc. Pendant ce temps, toute la cité spécule sur l’identité de la demoiselle blanche. Est-ce une revenante ? Est-ce, carrément, la Sainte Vierge ? Lors de la sixième apparition, une centaine de personnes accompagnent la jeune fille, dont un commissaire de police, qui insiste pour savoir si son apparition est bien la Vierge. Bernadette n’en sait strictement rien. Sa copine virtuelle n’a toujours pas dévoilé son identité. Elle ne possède même pas de compte Facebook ! Elle se contente de désigner son apparition sous le nom d’"Aqueró" ("Cela").

Miracle

Les autorités civiles commencent à s’inquiéter du remue-ménage. Les autorités religieuses, elles, se demandent si c’est du lard ou du cochon... À la neuvième apparition, trois cents curieux accompagnent Bernadette. Ils la voient marcher à genoux, baiser la terre, puis se mettre à creuser frénétiquement le sol boueux au fond de la grotte. Elle dégage une source. On la voit tendre l’oreille vers un interlocuteur invisible, puis boire l’eau boueuse qu’elle écope avec la main, avant de se barbouiller la figure avec. La plaisanterie a assez duré ! Mais, non, sur ordre de sa vision, Bernadette mâchouille quelques brins d’herbe qui poussent sur le sol. Quelqu’un lui jette : "Sais-tu qu’on te croit folle de faire des choses pareilles ?" Elle n’en a cure. Derrière elle, des visiteurs crédules dégagent la source pour y remplir des bouteilles.

Au cours des jours suivants, les apparitions se renouvellent en présence d’une foule toujours plus dense. Une fois, on traîne Bernadette devant le juge local, le commissaire s’énerve : "Tu fais courir tout le monde, tu veux devenir une petite pute ?" Il poursuit en la traitant d’ivrognasse, de couquino, de putarotto... Quelques jours plus tard, le juge la menace de prison si elle continue de se rendre à la grotte. Peine perdue. Lors de sa douzième visite, cette fois, c’est un cortège de 1 500 personnes qui la suit. Et c’est le premier miracle ! Une amie de Bernadette, Catherine Latapie, retrouve la mobilité de deux doigts paralysés en les trempant dans la source. Formidable ! Stupéfiant ! Le jour suivant, on voit Johnny plonger, nu, dans la source et en ressortir rajeuni de trente ans. Ça, c’est un étonnant miracle !

Hystérie

Lors de la treizième apparition, la dame, qui trouve sa plaisanterie de plus en plus hilarante, exige une procession et la construction d’une chapelle. Le curé de Lourdes qui soupçonne encore Soubirous d’affabuler réclame que la dame donne son nom et fasse fleurir l’églantier de la grotte en plein l’hiver. Durant les deux apparitions suivantes, la dame reste silencieuse, refusant de se nommer. C’est qu’elle est timide. N’y a-t-il pas 8 000 personnes devant la grotte ? Ce n’est qu’à la seizième apparition, le jeudi 25 mars, que la mystérieuse femme confie enfin à Bernadette, qui le répète à tous : "Que soy era Immaculada Councepciou" ["Je suis l’Immaculée Conception"]." Quant à l’églantier toujours pas touché par la grâce, il refuse de fleurir pour faire plaisir à un curé.

Le préfet, qui commence à en avoir marre de ce cirque, ordonne à trois médecins d’examiner Bernadette dans l’espoir de la faire interner comme malade mentale. L’examen dure quatre jours au bout desquels les médecins embarrassés concluent avec diplomatie qu’elle est malade sans l’être, tout en repoussant l’idée d’un internement. Lors de la dix-septième apparition, Bernadette touche longuement la flamme d’un cierge sans présenter de brûlure. À Lourdes, les partisans et les adversaires de Bernadette s’affrontent. D’autres femmes prétendent avoir elles aussi des visions. L’hystérie est à son comble. Épuisée physiquement, Bernadette part se reposer quelques jours aux bains de Cauterets. Enfin, le 16 juillet, c’est la dix-huitième et ultime apparition de la dame, non pas dans la grotte qui a été fermée par une palissade sur ordre du préfet de Tarbes, mais sur l’autre rive du gave.

Business

Bernadette est désormais une célébrité nationale. Les journaux lui consacrent des articles. L’évêque de Tarbes nomme une commission pour enquêter. Après quatre ans, elle se prononcera en faveur des apparitions. Le business peut commencer. La grotte est aménagée, une basilique est érigée. Les auberges, les marchands de souvenirs, les curés bénéficient du miracle du tiroir-caisse. Bientôt, les pèlerins affluent par dizaines de milliers. Tous ont quelque chose à réclamer à la bonne Vierge.

Pendant ce temps, la petite Bernadette n’en peut plus d’être la proie des curieux et des journalistes. À 20 ans, elle se retire chez les soeurs de la Charité, puis s’éloignera encore un peu plus en entrant au couvent Saint-Gildard à Nevers, où elle mène la vie d’une religieuse ordinaire durant 13 ans. De santé précaire, elle meurt à 35 ans, le 16 avril 1879. Y’a pas de miracle pour elle. C’était bien la peine d’avoir vu l’Immaculée Conception...
C’est également arrivé un 11 février

2010 - Suicide du créateur de mode Alexander McQueen, la veille des obsèques de sa mère.

1990 - Nelson Mandela est libéré après 27 ans de prison.

1975 - Le Parti conservateur britannique élit son premier leader féminin : Margaret Thatcher.

1950 - Création en France du salaire minimum interprofessionnel garanti (smig).

1939 - Parution de l’article scientifique historique de Lise Meitner et Otto Frisch sur le mécanisme de fission dans la revue Nature.

1922 - Frederick Banting et Charles Best annoncent à Toronto la découverte de l’insuline.

1752 - Le premier malade est reçu à l’hôpital de Pennsylvanie, premier hôpital aux États-Unis, créé grâce à Benjamin Franklin.

1543 - Le roi Henri VIII d’Angleterre et Charles Quint s’allient contre la France.

1302 - Philippe IV le Bel fait brûler la bulle Ausculta fili.


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