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11 décembre 1861. Charles Baudelaire a le culot de postuler à l’Académie française

jeudi 11 décembre 2014

À 40 ans, l’auteur des "Fleurs du mal" rêve d’être Immortel, mais devant le dédain et les moqueries, il finit par se retirer.

Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

"Et pourquoi pas moi, après tout ?" Dans sa petite chambre au 5e étage de l’hôtel de Dieppe, Charles Baudelaire caresse le doux rêve d’intégrer l’Académie française. Lui, le poète maudit des Fleurs du mal, qui a dégueulé sa haine des pouvoirs établis, son mépris pour la littérature classique, se met en tête d’intégrer le symbole de tout ce qu’il abhorre : l’académie des Immortels. C’est Sarkozy voulant se refaire une virginité politique...

Du lard ou du cochon ?

Mais Baudelaire n’est pas à un paradoxe près. À 40 ans, oubliant les procès que lui ont valus Les Fleurs du mal, il se sent dans la peau d’un poète-écrivain ayant déjà une belle production derrière lui, valant bien celle de certains académiciens. N’est-il pas déjà l’auteur de six ouvrages de poésie et de critique, et le traducteur des oeuvres d’Edgar Allan Poe ? Il a également publié de nombreux poèmes, articles et critiques dans plusieurs revues. Il bénéficie de l’estime de plusieurs grands écrivains comme Victor Hugo et Théophile Gautier, sensibles à sa poésie.

Le 25 juillet 1861, Baudelaire écrit à sa mère que de siéger sous la Coupole est le seul honneur qu’un "vrai homme de lettres puisse solliciter sans rougir". Ses amis, à qui il fait part de son ambition, se demandent si c’est du lard ou du cochon. Est-ce une ultime provocation de sa part ou une revendication sérieuse ? Avec lui, le doute est permis. Au gré de son humeur, il peut affirmer tout et son contraire. Cracher sur la société ou se faire le défenseur des valeurs les plus conservatrices. Il est aussi constant dans ses jugements que François Hollande... Mais, à bien y réfléchir, Baudelaire s’est toujours affiché comme un dandy. Or, qu’est-ce qu’un dandy, sinon un conservateur ?

Un "phraseur" d’une "médiocrité violente"

Donc, le 11 décembre 1861, Baudelaire prend sa plus belle plume pour adresser une lettre de candidature au secrétaire perpétuel de l’Académie française, Abel Villemain. "J’ai l’honneur de vous instruire que je désire être inscrit parmi les candidats qui se présentent pour l’un des deux fauteuils vacants à l’Académie française (ceux d’Eugène Scribe et d’Henri Lacordaire, décédés le premier en février, le second en novembre 1861), et je vous prie de vouloir faire part à vos collègues de mes intentions à cet égard." Il explique sa démarche : "Pour dire toute la vérité, la principale considération qui me pousse à solliciter déjà vos suffrages est que, si je me déterminais à ne les solliciter que quand je m’en sentirais digne, je ne les solliciterais jamais. Je me suis dit qu’après tout il valait peut-être mieux commencer tout de suite ; si mon nom est connu de quelques-uns parmi vous, peut-être mon audace sera-t-elle prise en bonne part, et quelques voix, miraculeusement obtenues, seront considérées par moi comme un généreux encouragement et un ordre de mieux faire."

L’historien et professeur Abel Villemain, que d’aucuns traitent de "momie", réceptionne cette curieuse candidature avec hauteur et dédain. Cela ne décourage pas notre candidat d’entamer sa tournée des Immortels, comme le veut la tradition. Il s’oblige à rendre visite à d’obscurs plumitifs dont il méprise le talent. À Charles de Montalembert, que Barbey d’Aurevilly décrit comme "un écrivain lourd, incorrect et terreux" ; à Félix Dupanloup, un "phraseur" d’une "médiocrité violente" ; à Jules Sandeau (le premier amant de George Sand), "un petit conteur de contrebande" ; à Philippe Paul de Ségur, une sorte de "Xénophon pathétique" ; à Émile Augier, le "fruit le plus sec de la poésie contemporaine".

Les conseils du "Figaro"

Mais l’Académie compte également quelques vraies gloires à qui Baudelaire rend visite avec émotion. Tel Alfred de Vigny, qui le reçoit malgré ses souffrances l’obligeant à garder la chambre. Le poète, âgé de 64 ans, lui fait bon accueil, lui qui lui écrira : "Ce que vous ne saurez pas, c’est avec quel plaisir je lis à d’autres, à des poètes, les véritables beautés de vos vers, encore trop peu appréciés et trop légèrement jugés." En revanche, Lamartine lui conseille de renoncer à sa candidature. Il ne reçoit certainement pas beaucoup d’encouragements de Prosper Mérimée, qui avait écrit à propos de l’auteur des Fleurs du mal : "Je ne connais pas l’auteur, mais je parierais qu’il est niais et honnête." Sainte-Beuve reconnaît à Baudelaire un étrange talent "à l’extrémité d’une langue de terre réputée inhabitable et par-delà les confins du romantisme connu". Pourtant, il ne lui a jamais consacré une critique. Il le décourage de poursuivre plus avant.

Baudelaire peut encore compter sur Gustave Flaubert et sur son futur biographe, Charles Asselineau, pour mener campagne en sa faveur dans les salons littéraires. Mais que peuvent deux hommes pour s’opposer aux salves moqueuses envoyées par la majorité des journaux ? C’est Le Figaro, qui conseille de lire Les Fleurs du mal d’une main et de se boucher le nez de l’autre. C’est La Chronique parisienne, qui insinue qu’il faudrait placer Baudelaire dans la section des cadavres de l’Académie. C’est Le Tintamarre, qui fait de l’esprit en suggérant que le poète a tiré le gros lot de sa loterie "humoristique" : un bon d’accès à l’Académie française. C’est Closer qui publie une photo de lui en train de danser dans une boite de nuit avec Valérie Trierweiler...

Constatant qu’il ne peut même pas espérer une ou deux voix, Baudelaire jette l’éponge, suivant le conseil de Sainte-Beuve. Le 10 février 1862, l’auteur des Paradis artificiels saisit de nouveau sa plume pour informer Abel Villemain de son retrait. Le même jour, il annonce sa décision à sa mère : "Je sais maintenant que je serai nommé, mais quand ? Je ne sais pas." Merveilleux optimisme. "Bienvenue au club !" s’exclament Gonzague Saint-Bris et PPDA...
Ce texte est largement inspiré de la communication de Jean-Baptiste Baronian à la séance mensuelle du 10 juin 2006, à l’Académie française.

C’est également arrivé un 11 décembre

1999 - Le pape Jean-Paul II inaugure la chapelle Sixtine rénovée.

1998 - La plus grosse cloche battante du monde est coulée à Nantes.

1981 - Mohamed Ali (Cassius Clay) perd son dernier match, contre Trevor Berbick.

1972 - Apollo 17 effectue la dernière mission du programme spatial Apollo et se pose sur le sol lunaire.

1964 - Che Guevara prend la parole à la tribune des Nations unies.

1957 - Le chanteur Jerry Lee Lewis épouse sa cousine âgée de 13 ans.

1946 - L’Unicef est créé par les Nations unies.

1922 - Le Belge Simenon débarque à la gare du Nord avec une valise en carton.

1902 - Ouverture du musée des Beaux-Arts au Petit Palais, à Paris.

1872 - Buffalo Bill fait sa première apparition sur scène.

1844 - L’anesthésie est pratiquée pour la première fois en chirurgie dentaire.

1803 - Naissance d’Hector Berlioz


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